Comme un lecteur, Philippe, réagissait à mon dernier billet en décrivant les signes qu'il voit en Grèce d'une certaine reprise d'activité, je reproduis ici la réponse détaillée que je lui ai faite, parce que je crois qu'il s'agit d'un sujet vraiment fondamental aujourd'hui, notamment en raison de la propagande écrasante distillée chaque jour, chaque heure, chaque minute par les médias dominants. Non, je le maintiens, ça ne va pas mieux, ni en Grèce, ni en Italie (comme l'ont montré les résultats des élections législatives qui traduisent un état de décomposition politique alarmant), ni en Espagne, ni au Portugal, ni en France. Et voici pourquoi.

Cher Philippe, ce que vous décrivez n'est hélas qu'un trompe-l'oeil. Pourquoi ? D'abord parce que, comme je le dis dans mon billet, c'est l'effet mécanique de la baisse du taux de change de l'euro durant la phase qui a suivi la "crise". L'effet d'asphyxie sur l'économie grecque s'est atténué, permettant une stabilisation de l'activité à des niveaux extrêmement bas (la destruction de richesses a été pire qu'au pire de la Grande Dépression des Etats-Unis, dont ceux-ci ne sont en fait sortis qu'avec la deuxième guerre mondiale). Rappelons durant cette phase longue à ceux qui ont peur des effets d'une dévaluation qui suivrait la sortir de l'euro que cette monnaie s'est dévaluée entre 2009-2010 et 2016 2017 de l'ordre de 30 % (près de 1,60 dollar à la veille de la crise, moins de 1,10 entre octobre 2016 et avril 2017).

C'est la SEULE raison du faux mieux que l'on voit aujourd'hui en Europe : ce mieux relatif n'est ni l'effet des coupures budgétaires, de a déflation imposée par l'Allemagne, des job acts à la Renzi, de la destruction systématique des classes moyennes; il n'est que l'effet d'une surévaluation monétaire qui est devenue moins violente. Cette surévaluation est une sous-évaluation pour l'Allemagne, qui justifie parfaitement les mesures anti dumping prises par Trump contre l'Allemagne, puisque l'euro est une monnaie à ce point stupide qu'elle est surévaluée pour les économies les plus faibles de la zone qu'elle étouffe, alors qu'elle est sous-évaluée pour les économies les plus fortes (au premier rang desquelles l'allemande) auxquelles elle permet de s'enrichir encore en accumulant de l'excédent commercial.

Or l'économie grecque, pour repartir vraiment après les destructions de potentiel économique qu'elle a subies du fait de la surévaluation de l'euro durant des années et des années, auxquelles s'ajoutent celles des politiques imposées par l'UE depuis 2010, aurait sans doute besoin, par rapport au niveau atteint alors d'une dévaluation supplémentaire de même ampleur, voir un peu plus grande pour une parité de 0,7 à 0,8 dollar. Aucune économie dans le monde, nulle part, jamais, ne peut durablement repartir avec une monnaie surévaluée de 30 à 40 %. c'est comme si vous demandiez à un athlète de courir une course avec un boulet de 30 à 40 kilos attaché à la cheville. Il n'empêche que cette baisse de 30 % du taux de change a évidemment redonné un peu d'air à l'économie grecque, comme à l'italienne, à l'espagnole, à la portugaise, à la française...

Mais ceci est désormais derrière nous ! Ce matin, l'euro est à 1,23 dollar alors qu'il était à 1,03 en décembre 2016, c'est à dire une réévaluation de l'ordre de 20%, comme si le poids au pied de votre coureur avait augmenté de 20 kilos... Les effets de la baisse de l'euro ne se sont vus qu'avec retard ; il en ira de même pour ceux de la hausse : un pays ne peut simplement pas vivre avec une monnaie en pareil décalage avec ses fondamentaux ! D'autre part, le déficit commercial a considérablement augmenté en 2017 alors même que les exportations augmentaient, ce qui signifie simplement que les "réformes" imposées par l'UE ont mis en place une économie du Tiers Monde qui produit des exportations de faible valeur , grâce à des salaires bas, alors qu'elle doit importer des produits qu'elle ne produit plus. Ce que les néomarxistes appellent de la croissance sans développement.

Cette structure est doublement dangereuse. d'abord, elle produit, en dernier ressort, de la dette en plus, c'est à dire qu'elle renforce la dépendance de la Grèce par rapport à ses créanciers qui n'ont toujours pas consenti la moindre restructuration significative de la dette existante. Ensuite, les emplois créés sont des emplois peu qualifiés qui peuvent être déménagés très vite ailleurs si les conditions salariales ou de change apparaissent plus favorables ailleurs. Ce type de "croissance" n'est donc ni pérenne ni générateur de hausse ou, en l'occurrence, de récupération du niveau de vie perdu.

Toute hausse de salaire rendrait notamment ces emplois non compétitifs avec des emplois situés dans des pays voisins. De surcroît cette croissance en trompe l'oeil est essentiellement le fait "d'investisseurs" étrangers, c'est à dire d'un capitalisme qui délocalisent aussitôt les revenus de leurs activités et qui n'ont aucun scrupule à délocaliser les emplois dès lors que les conditions seront jugées meilleures ailleurs. Ajoutons que les ressources d'un développement propre et durable - les cerveaux jeunes, dont la formation a été payée par le contribuable grec - sont massivement partis, et continuent à partir créer de la plus-value ailleurs.

Ajoutons encore que, dans les pays développés, la croissance repose à 60-70% sur la consommation intérieure. Or, les caractéristiques que je viens de vous décrire rendent forcément cette consommation atone et lui interdisent de repartir puisqu'on continue à étouffer la demande par de nouvelles baisses programmées des retraites. Et même si, par miracle, elle repartait, elle créerait du déficit commercial et de la dette supplémentaires puisque la Grèce serait obligée d'importer ce que, du fait de la surévaluation de l'euro et des politiques européennes, elle ne peut plus produire. Si l'on ajoute à cela la dégradation continue des systèmes publics de santé, d'éducation, et cerise sur le gâteau, l'incertitude géopolitique sur laquelle l'UE détourne la tête, je ne vois vraiment pas comment on peut continuer à soutenir que "ça va mieux".

En réalité, ce qui se met en place en Grèce aujourd'hui, ce n'est pas un redémarrage de l'économie, c'est une structure d'économie coloniale.