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dimanche 25 mars 2018

25 mars, fête nationale grecque

L'insurrection grecque de 1821, l'épanastasis, que les Grecs commémorent en ce jour de fête nationale, est à la fois (en même temps !!!) un soulèvement national et une révolution - la volonté de disposer de soi et de changer l'ordre social qui participe de la domination turque et que la domination turque pérennise. Car en Grèce, on n'a pas attendu l'UE et l'euro pour que les "élites" soient les fidèles relais d'une domination étrangère. C'est une longue tradition...

L'épanastasis est donc à la fois la fille de la Révolution française et un soulèvement contre une domination turque et musulmane, largement euphémisée par l'historiographie récente et que certaines plumes feraient presque passer, par choix idéologique hostile à la nation, pour un modèle de tolérance et de "vivre ensemble" sans frontières, alors qu'il s'agissait d'un régime d'inégalité structurelle devant l'impôt, la justice, la pratique religieuse, la vie au quotidien et la mort, entre musulmans dominants et chrétiens dominés (l'Empire ottoman ne connaît pas les "nationalités", le statut personnel, les droits, devoirs et contraintes y sont déterminés par l'appartenance religieuse).

Elle est aussi le fruit d'un long mûrissement qui voit l'émergence d'une bourgeoisie commerçante grecque qui s'imprègne des Lumières, aspire à un nouvel ordre politique et social, diffuse ces idées dans tous les Balkans. Et dans ce long mûrissement, deux hommes jouent un rôle fondamental. Voici ce que j'en écris dans le premier tome de La Grèce et les Balkans, du Ve siècle à nos jours, Folio Histoire, Gallimard, 2013.

"C’est donc principalement vers la France ou la Russie que regardent ceux qui ouvrent la voie à l’insurrection grecque de 1821 ; et c’est en France ou en Russie qu’ils trouvent refuge lorsque leur vie est menacée. La Grande Catherine offre l’asile aux savants Voulgaris et Théotokis, comme au pirate Katsonis. Stamaty passe au service de la France, et Kodrykas, arrivé à Paris en 1797 avec une ambassade ottomane, ignore son rappel en 1800, devient traducteur au ministère français des Affaires extérieures, est condamné à mort par contumace à Istanbul, et publie en 1808 un Projet de partage de la Turquie. Quant à ceux qui n’ont ni protecteur ni refuge, leur sort est souvent plus tragique : passé par l’Académie athonite, le moine Kosmas l’Étolien (1714-1779) parcourt l’espace grec durant vingt ans, crée des écoles, prêche l’éducation du peuple et la libération nationale dans un message évangélique à tonalité égalitaire qui lui vaut l’hostilité des notables aussi bien que de la hiérarchie ecclésiastique. Il finit pendu par les Turcs comme agent du tsar.

Parmi ces précurseurs, deux figures se détachent : Adamantios Koraïs (1748-1833), intellectuel exilé ; Rhigas Vélestinlis (1757-1798), activiste de l’intérieur. Le premier est smyrniote, rejeton d’une famille de marchands emblématique de la nouvelle élite grecque, éduqué aux humanités par un pasteur hollandais, polyglotte (il maîtrise huit langues). Il séjourne à Amsterdam, revient à Smyrne par Vienne et Trieste, lit les philosophes et se passionne pour l’Antiquité grecque, avant de repartir faire sa médecine à Montpellier et de s’installer à Paris en 1788. Il y conquiert la reconnaissance des cercles savants par son érudition et ses traductions ; il édite pour ses compatriotes de nombreux auteurs antiques, avec présentation et notes en grec moderne, regroupés dans une Bibliothèque hellénique qui est « comme une collection Guillaume Budé grecque entièrement établie par un seul homme ». Observateur enthousiaste des débuts de la Révolution, il voudrait que ses principes s’appliquent en Grèce et défend l’idée que la Grande Nation devrait aider les Hellènes à se libérer du despotisme ottoman. Il voit la diffusion des Lumières parmi les Grecs de son temps comme le remboursement par l’Europe occidentale, « avec de très gros intérêts », du capital qu’elle a reçu de ceux de l’Antiquité, et la France, « arrivée au même degré de gloire que nos ancêtres dans les arts et dans la science », comme une nouvelle Athènes. Il est si convaincu des affinités électives unissant la Révolution à la Grèce que, dans une lettre où il évoque le procès d’un Louis XVI qui, « de son propre mouvement ou par de mauvais conseils, a tramé en secret le renversement de la liberté », il se fait l’écho d’une curieuse rumeur selon laquelle, en cas de victoire de la contre-Révolution, les révolutionnaires projetteraient de s’embarquer à destination de Chypre et de la Crète, afin d’y fonder une République gréco-française !

Face à l’emballement de la Révolution, Koraïs continue à souhaiter sa victoire, parce que sa défaite serait celle de la liberté, mais il voudrait aussi que celle-ci fût toujours compatible avec l’humanité et la justice. Pour Mario Vitti, en politique comme sur la question de la langue, Koraïs est à la recherche du juste milieu, du compromis.

« Ce compromis prend sa source dans la notion de démocratie et dans le respect de la tradition populaire, telles que les avait définies la pensée des Lumières (…). Cet esprit « éclairé » élabora une théorie de l’épuration de la langue « vulgaire », à l’aide de la philologie classique, et s’employa à « corriger » scrupuleusement son vocabulaire. Ainsi, sans s’en douter cependant, il ouvrait la voie au procédé grâce auquel, quelques années plus tard, les conservateurs allaient donner naissance à la katharévoussa. »

Mais ce « centriste » qui se définit dans une lettre de 1793 comme « citoyen du monde », qui croit à l’instruction comme instrument du progrès, n’hésite pas non plus à prendre des positions tranchées. Lorsque paraissent des Instructions paternelles (1798), attribuées au patriarche de Jérusalem, qui condamnent la Révolution française comme une œuvre diabolique, et reprennent le vieux thème de la domination ottomane voulue par Dieu, Koraïs réplique par de cinglantes Instructions fraternelles, datées de l’an I de la liberté. Il y stigmatise « l’oppression intérieure » des Grecs par « les notables et le haut clergé », qui pérennise la tyrannie du sultan. Pour lui, il y a donc une double libération à accomplir, vis-à-vis des Turcs et vis-à-vis des Grecs qui ont intérêt au maintien du statu quo. Quant à sa correspondance et à ses textes polémiques (La Trompette guerrière en 1801, ou Que doivent faire les Grecs dans les circonstances présentes, dialogue de deux Grecs qui ont entendu parler des brillantes victoires de Napoléon en 1805), ils circulent largement en Grèce, où ils contribuent à populariser l’idée d’une révolution.

Koraïs ne cesse par ailleurs de déplorer l’indifférence des Occidentaux pour sa patrie d’origine. Il tente de sensibiliser leurs élites à son sort, de les convaincre qu’il faut aider à sa libération. C’est le sens du Mémoire sur l’état actuel de la civilisation de la Grèce qu’il présente en 1803 à la Société des observateurs de l’homme dont il est membre. Dans ce texte, lui, l’intellectuel légitime aux yeux de ses pairs, qui a choisi la France mais qui continue à se revendiquer grec, s’emploie à combattre les préjugés qui pèsent sur ses compatriotes, à convaincre son auditoire qu’ils sont dignes d’être libres et prêts à l’être, tout en appelant ceux-ci à renouer avec le passé de leur grandeur antique.

Koraïs meurt en 1833, sans avoir fait ne fût-ce qu’un voyage vers cette Grèce indépendante qu’il n’a cessé, depuis Paris, d’appeler de ses vœux. Il meurt après avoir condamné l’action de son premier chef d’État, Kapodistrias, mais honoré par son Assemblée nationale (1827) comme un des hommes auxquels la nation doit sa reconnaissance. Il meurt en choisissant d’être enterré dans sa patrie d’adoption, son épitaphe proclamant qu’il la chérit à l’égal de son pays natal.

Rhigas, lui, meurt étranglé le 24 juin 1798, avec sept de ses compagnons, sur ordre du sultan, sans jugement, dans un cachot de la forteresse de Belgrade. Koraïs avait choisi d’appeler, depuis Paris, ses compatriotes à la révolte, et la France à les y aider. Rhigas entreprend de constituer une société secrète qui doit préparer le soulèvement et, dans l’espoir d’un soutien français, tente d’établir le contact avec un Bonaparte libérateur de l’Italie et créateur des républiques sœurs, cisalpine, helvétique, ligure, d’Ancône, romaine ou parthénopéenne (Naples). Établi à Vienne en 1796, il est victime d’une trahison et arrêté à Trieste en décembre 1797 – là comme en Grèce, bien des Grecs sont hostiles, pour des raisons sociales, à la radicalité révolutionnaire même s’ils souhaitent une libération nationale. Les Instructions paternelles approuvent le châtiment, sans citer Rhigas, de ceux qui ont fait preuve d’un « zèle insensé », quand les Instructions fraternelles de Koraïs saluent les « courageux martyrs de la liberté ».

Rhigas est également victime de la solidarité contre-révolutionnaire. Naguère, les Autrichiens appelaient les chrétiens des Balkans à la révolte contre les Turcs. Désormais, c’est pour « préserver de troubles l’État ottoman voisin » et « protéger nos frontières de leur propagation » qu’ils livrent au sultan Rhigas et ses compagnons grecs. L’origine géographique de ceux-ci (Chypre, Chios, Macédoine, Épire…) et la liste de trois mille membres de sa société secrète que la police découvre dans les papiers de Rhigas montrent le caractère « national » et l’ampleur du mouvement en gestation. Quant au fait que des sujets du tsar (expulsés vers la Russie) aient été pris dans le coup de filet, il confirme le strabisme divergent de ces Grecs inspirés par les idéaux de la Révolution française et espérant son secours mais, comme l’écrira l’élève consul de Jassaud dix ans plus tard, prêts à se jeter dans les bras de quiconque veut bien les aider.

Rhigas est né en 1757 à Vélestino, sur le site de l’antique Phérai (d’où les qualificatifs d’origine, Vélestinlis ou Phéraios, accolés à son patronyme), non loin de Volos en Thessalie. Adolescent, il assiste à une scène qui le marque : l’irruption dans une église de Turcs qui interrompent l’office pour contraindre les fidèles à la corvée. Il étudie dans une école de la presqu’île du Pélion, un des apanages de la sultane mère, qui bénéficie d’une très large autonomie locale. À Constantinople, il se frotte aux phanariotes, auprès desquels il va faire carrière dans les principautés danubiennes à partir de 1785 ou 1786. Il mélange les genres : secrétaire de drogman et d’hospodar, commerçant qui investit ses gains dans la terre, interprète au consulat de France à Bucarest. Adepte des Lumières, franc-maçon, convaincu des vertus libératrices de l’éducation, il publie des ouvrages de vulgarisation, mais adapte aussi des nouvelles libertines de Restif de La Bretonne, traduit l’abbé Barthélemy, Montesquieu, La Marseillaise ou les Constitutions françaises de 1791 et 1793, écrit des paroles grecques sur l’air de La Carmagnole. En mai 1797, il met en vente à Vienne une Grande Carte de Grèce en douze feuillets, à la fois encyclopédique, didactique et politique, qui donne les noms moderne et antique des localités, comprend nombre de commentaires historiques et archéologiques, des reproductions de monnaies antiques, des plans de Sparte et Athènes, des sanctuaires de Delphes et Olympie (communs à tous les Grecs), ainsi que ceux des grandes batailles gagnées par les Grecs coalisés contre les Perses durant les guerres médiques…

« Enfant perdu d’un jacobinisme périphérique », selon l’expression de Michel Vovelle, Rhigas publie surtout, en novembre 1797, un Nouveau Statut politique où l’on trouve un manifeste révolutionnaire, une déclaration des droits de l’homme (dont la résistance à l’oppression et des droits économiques et sociaux fort concrets comme l’éducation des filles, un « crédit » accordé par l’État aux inactifs, l’interdiction pour les patrons d’insulter ou de frapper leurs employés, etc.), une Constitution de la future République, parfois plus « moderne » que ses modèles, la Constitution jacobine de 1793 et celle du Directoire.

Dans ce texte, comme dans sa Carte, se dessine une République hellénique comprenant non seulement la péninsule grecque et l’archipel, mais aussi l’Asie Mineure, l’ensemble de la Roumélie et les principautés danubiennes. Une République… byzantine ou ottomane en somme, dotée d’un drapeau tricolore et d’un emblème : la massue d’Héraklès portant « liberté, égalité, fraternité », et autour « pour les lois et la patrie », qui font référence aux héritages antique et byzantin autant qu’à l’inspiration française. Cette République répudie la peine de mort et inclut tous les peuples : « qui gémissent sous la tyrannie insupportable de l’abominable despotisme ottoman (…) sans aucune distinction de religion ».

Quelques années plus tôt, le jacobin hongrois Ignace Martinovics, exécuté en 1795 par les Autrichiens, avait prôné une réorganisation de la Hongrie sur la base de provinces autonomes qui feraient place aux droits des nationalités . Rhigas n’inscrit pas davantage son action dans un cadre ethnolinguistique étroit, et son organisation recrute aussi bien dans les principautés danubiennes qu’en Bulgarie, en Serbie ou au Monténégro. Sa République hellénique est pourtant conçue comme un État unitaire – le modèle est la France jacobine, pas le fédéralisme girondin ni les États-Unis d’Amérique –, dont la langue commune serait le grec, enseigné partout (de fait, il est déjà la langue commune de culture et d’affaires de la région) en même temps que le français et l’italien. Mais si la souveraineté réside dans la nation (ethnos en grec), celle-ci est définie comme l’addition de différentes composantes nationales (génos en grec) reconnues comme égales. Les Hellènes y seraient donc minoritaires parmi les Albanais, Serbes, Valaques, Moldaves, Bulgares, Arméniens, Bosniaques et « autres », y compris les Turcs, qui disposeraient des mêmes droits qu’eux, et participeraient avec eux à l’expression de la souveraineté, à travers un suffrage universel par ailleurs plus large que dans le modèle français, puisqu’il serait étendu aux « hommes et femmes, nationaux et non nationaux ».

Rapidement, le Thourios (chant de guerre) de Rhigas, qui proclame qu’une heure de liberté vaut mieux que quarante ans d’esclavage, est colporté, appris, chanté dans tous les villages grecs. Il deviendra l’hymne des combattants de la guerre d’indépendance, et nombre des plus illustres d’entre eux, comme Makriyannis ou Kolokotronis, verront en Rhigas le semeur des grains dont ils moissonnèrent la récolte. Une tragédie lui fut consacrée dès 1833… interdite sous la monarchie absolue et bavaroise qui sortit de la guerre d’indépendance, de même que la dictature de Métaxas, en 1937, interdira une autre pièce qui lui est consacrée. Théâtre, poésie, images d’Épinal représentant Koraïs et Rhigas soutenant une Grèce blessée sur fond de ruines antiques, romans populaires, groupes politiques, nombreux sont ceux qui, dans une intention ou dans une autre – exaltation du patriotisme hellénique ou promotion d’un fédéralisme balkanique –, voyant en lui un impérialiste grec ou un libérateur des peuples de l’Europe du Sud-Est, auront utilisé Rhigas, toutes choses égales par ailleurs, à la manière dont Jeanne d’Arc a pu l’être en France.

Mais au-delà de l’instrumentalisation de son image, Rhigas reste doublement important. Parce qu’il donne à un mouvement national en gestation un premier corps de doctrine et un projet politique résolument ancrés dans le système de valeurs des Lumières et l’héritage de la Révolution française. Parce que son destin donne à sa cause la force symbolique du martyre : « L’écoulement de ce sang innocent, au lieu d’impressionner les Grecs, les poussera plutôt à la vengeance », écrit Koraïs dans ses Instructions fraternelles. La fin tragique de Rhigas ne fait qu’amplifier l’écho de ses œuvres qui continuent à circuler dans les Balkans, inspirant les générations de ceux qui reprennent son objectif (la préparation d’une insurrection) tout en tirant la leçon de son échec. D’autres organisations prennent le relais. Les loges maçonniques se multiplient dans le monde hellénique. L’Hellinoglosson Xénodochion (Hôtel hellénophone) est fondé à Paris en 1809 ; outre de nombreux francs-maçons, le Corfiote Kapodistrias ou le Français Choiseul-Gouffier adhèrent à cette société qui vise l’éducation des Hellènes en même temps que la restauration d’un empire grec. Une autre, baptisée Philomoussos (Amis des Muses), naît trois ans plus tard, à Athènes puis à Vienne. Présidée par Kapodistrias, elle collecte des fonds (le tsar Alexandre Ier figure parmi les donateurs) utilisés à des fins subversives, en plus de celles, éducatives et culturelles (création d’écoles, de bibliothèques, de musées), qu’elle allègue officiellement.

Enfin, en 1814 à Odessa, deux anciens de l’Hellinoglosson Xénodochion, Nikolaos Skouphas (1779-1819), originaire d’Arta, et Athanasios Tsakalov (1788-1851) de Ioannina, fondent avec Emmanouïl Xanthos (1772-1852) de Patmos, franc-maçon, la Philiki Hétaireia (Hétairie ou Société des amis), dont la direction se transportera à Constantinople en 1818. Comme les carbonari, nés de la lutte contre les Français dans le royaume de Naples, puis reconvertis dans l’opposition clandestine et violente aux régimes absolutistes établis en Italie par la Sainte-Alliance, comme la charbonnerie française, l’Hétairie pratique l’initiation, le serment, le codage des correspondances, le cloisonnement des cellules et échelons.

Elle recrute en Russie et dans les provinces danubiennes, ainsi que dans le Péloponnèse, les îles, en Épire ; la Grèce centrale, la Macédoine, la Thessalie et l’Asie Mineure (sauf Smyrne) y sont sous-représentées. Chypre reste à l’écart du mouvement, mais des Serbes, des Bulgares et des Valaques s’y affilient également. Si sa base sociale est majoritairement la nouvelle bourgeoisie, la volonté de ses fondateurs de rester flous quant aux objectifs politiques autres que la libération nationale lui rallie nombre de notables ou de membres du clergé comme Mgr Germanos, métropolite de Patras. Enfin, à défaut de Kapodistrias, ministre des Affaires étrangères de la Russie depuis 1816, qui a décliné l’offre, Alexandros Ypsilantis, phanariote, aide de camp et ami du tsar, prend la tête de l’Hétairie en 1820."

Tout cela n'ayant, bien entendu, aucun rapport avec la situation actuelle de la Grèce...

vendredi 23 mars 2018

Le ca va mieux...

Comme un lecteur, Philippe, réagissait à mon dernier billet en décrivant les signes qu'il voit en Grèce d'une certaine reprise d'activité, je reproduis ici la réponse détaillée que je lui ai faite, parce que je crois qu'il s'agit d'un sujet vraiment fondamental aujourd'hui, notamment en raison de la propagande écrasante distillée chaque jour, chaque heure, chaque minute par les médias dominants. Non, je le maintiens, ça ne va pas mieux, ni en Grèce, ni en Italie (comme l'ont montré les résultats des élections législatives qui traduisent un état de décomposition politique alarmant), ni en Espagne, ni au Portugal, ni en France. Et voici pourquoi.

Cher Philippe, ce que vous décrivez n'est hélas qu'un trompe-l'oeil. Pourquoi ? D'abord parce que, comme je le dis dans mon billet, c'est l'effet mécanique de la baisse du taux de change de l'euro durant la phase qui a suivi la "crise". L'effet d'asphyxie sur l'économie grecque s'est atténué, permettant une stabilisation de l'activité à des niveaux extrêmement bas (la destruction de richesses a été pire qu'au pire de la Grande Dépression des Etats-Unis, dont ceux-ci ne sont en fait sortis qu'avec la deuxième guerre mondiale). Rappelons durant cette phase longue à ceux qui ont peur des effets d'une dévaluation qui suivrait la sortir de l'euro que cette monnaie s'est dévaluée entre 2009-2010 et 2016 2017 de l'ordre de 30 % (près de 1,60 dollar à la veille de la crise, moins de 1,10 entre octobre 2016 et avril 2017).

C'est la SEULE raison du faux mieux que l'on voit aujourd'hui en Europe : ce mieux relatif n'est ni l'effet des coupures budgétaires, de a déflation imposée par l'Allemagne, des job acts à la Renzi, de la destruction systématique des classes moyennes; il n'est que l'effet d'une surévaluation monétaire qui est devenue moins violente. Cette surévaluation est une sous-évaluation pour l'Allemagne, qui justifie parfaitement les mesures anti dumping prises par Trump contre l'Allemagne, puisque l'euro est une monnaie à ce point stupide qu'elle est surévaluée pour les économies les plus faibles de la zone qu'elle étouffe, alors qu'elle est sous-évaluée pour les économies les plus fortes (au premier rang desquelles l'allemande) auxquelles elle permet de s'enrichir encore en accumulant de l'excédent commercial.

Or l'économie grecque, pour repartir vraiment après les destructions de potentiel économique qu'elle a subies du fait de la surévaluation de l'euro durant des années et des années, auxquelles s'ajoutent celles des politiques imposées par l'UE depuis 2010, aurait sans doute besoin, par rapport au niveau atteint alors d'une dévaluation supplémentaire de même ampleur, voir un peu plus grande pour une parité de 0,7 à 0,8 dollar. Aucune économie dans le monde, nulle part, jamais, ne peut durablement repartir avec une monnaie surévaluée de 30 à 40 %. c'est comme si vous demandiez à un athlète de courir une course avec un boulet de 30 à 40 kilos attaché à la cheville. Il n'empêche que cette baisse de 30 % du taux de change a évidemment redonné un peu d'air à l'économie grecque, comme à l'italienne, à l'espagnole, à la portugaise, à la française...

Mais ceci est désormais derrière nous ! Ce matin, l'euro est à 1,23 dollar alors qu'il était à 1,03 en décembre 2016, c'est à dire une réévaluation de l'ordre de 20%, comme si le poids au pied de votre coureur avait augmenté de 20 kilos... Les effets de la baisse de l'euro ne se sont vus qu'avec retard ; il en ira de même pour ceux de la hausse : un pays ne peut simplement pas vivre avec une monnaie en pareil décalage avec ses fondamentaux ! D'autre part, le déficit commercial a considérablement augmenté en 2017 alors même que les exportations augmentaient, ce qui signifie simplement que les "réformes" imposées par l'UE ont mis en place une économie du Tiers Monde qui produit des exportations de faible valeur , grâce à des salaires bas, alors qu'elle doit importer des produits qu'elle ne produit plus. Ce que les néomarxistes appellent de la croissance sans développement.

Cette structure est doublement dangereuse. d'abord, elle produit, en dernier ressort, de la dette en plus, c'est à dire qu'elle renforce la dépendance de la Grèce par rapport à ses créanciers qui n'ont toujours pas consenti la moindre restructuration significative de la dette existante. Ensuite, les emplois créés sont des emplois peu qualifiés qui peuvent être déménagés très vite ailleurs si les conditions salariales ou de change apparaissent plus favorables ailleurs. Ce type de "croissance" n'est donc ni pérenne ni générateur de hausse ou, en l'occurrence, de récupération du niveau de vie perdu.

Toute hausse de salaire rendrait notamment ces emplois non compétitifs avec des emplois situés dans des pays voisins. De surcroît cette croissance en trompe l'oeil est essentiellement le fait "d'investisseurs" étrangers, c'est à dire d'un capitalisme qui délocalisent aussitôt les revenus de leurs activités et qui n'ont aucun scrupule à délocaliser les emplois dès lors que les conditions seront jugées meilleures ailleurs. Ajoutons que les ressources d'un développement propre et durable - les cerveaux jeunes, dont la formation a été payée par le contribuable grec - sont massivement partis, et continuent à partir créer de la plus-value ailleurs.

Ajoutons encore que, dans les pays développés, la croissance repose à 60-70% sur la consommation intérieure. Or, les caractéristiques que je viens de vous décrire rendent forcément cette consommation atone et lui interdisent de repartir puisqu'on continue à étouffer la demande par de nouvelles baisses programmées des retraites. Et même si, par miracle, elle repartait, elle créerait du déficit commercial et de la dette supplémentaires puisque la Grèce serait obligée d'importer ce que, du fait de la surévaluation de l'euro et des politiques européennes, elle ne peut plus produire. Si l'on ajoute à cela la dégradation continue des systèmes publics de santé, d'éducation, et cerise sur le gâteau, l'incertitude géopolitique sur laquelle l'UE détourne la tête, je ne vois vraiment pas comment on peut continuer à soutenir que "ça va mieux".

En réalité, ce qui se met en place en Grèce aujourd'hui, ce n'est pas un redémarrage de l'économie, c'est une structure d'économie coloniale.

mercredi 21 mars 2018

Ca va mieux, ça va mieux, ça va mieux...

Comme on le répète sur tous les tons depuis des mois : en Grèce, ça va mieux ! La preuve ? Le chômage est remonté de 20,2 % à 21,2 % entre le troisième et le quatrième trimestre 2017.

La réalité c'est que la stabilisation à des niveaux très bas de l'activité qu'avait générée la baisse de l'euro sous les 1,10 dollars entre octobre 2016 et avril 2017 est désormais effacée, et que la remontée au dessus des 1,2 asphyxie ce que huit ans d'imbéciles et criminelles politiques de l'UE ont laissé subsister d'économie grecque.