...quand il est lu, c'est qu'il faut répondre à l'attente de ses lecteurs !

Merci à vous tous de votre fidélité et de votre intérêt. Le deuil familial qui m'a touché m'a profondément affecté et fait prendre aussi beaucoup de retard dans mes différents chantiers d'écriture, d'où une présence ici moins régulière ces derniers temps. Et une absence la semaine prochaine : nous irons en famille immerger les cendres de maman dans cette Méditerranée qu'elle aimait tant et dont elle m'a transmis l'amour.

Certains d'entre vous m'ont aussi demandé de faire le point sur l'enjeu énergétique dans la "crise grecque", un sujet complexe, sur lequel j'essaierai dans les semaines qui viennent de faire un papier de fond ; sur la tension militaire entre Grèce et Turquie ; sur le nouveau parti fondé par Zoé Kontantopoulou, l'ancienne et "héroïque" présidente du Parlement, dont les lecteurs de ce blog savent l'estime et l'admiration que je lui porte.

Alors je vais essayer aujourd'hui de répondre à deux de ces questions. Après avoir fait un rapide point sur la situation actuelle des rapports entre le gouvernement Tsipras et le Quartet.

D'abord il faut dire que les mobilisations sociales ne faiblissent pas contre le projet de nouvelle réforme de la Sécurité sociale élaboré sous l'injonction des créancier et que doit discuter/adopter le Parlement. Marine, marchande, pompiers, hôpitaux, architectes, médias... c'est l'ensemble des forces sociales qui s'élève contre ce projet, les grèves succèdent aux grèves, les manifestations aux manifestations... Sans effet.

Ensuite, il faut ajouter que la "révision" par le Quartet des réformes et politiques grecques qui, dans le système du supplice chinois du goutte-à-goutte institué par le Mémorandum Tsipras, conditionne les versements des créanciers destinés à rembourser ces mêmes créanciers, a vu une nouvelle escalade des exigences austéritaires. dans un jeu de rôle digne du théâtre de l'absurde, Tsipras a demandé que le FMI sorte du "plan d'aide" alors que le FMI était favorable à un allègement de la dette, jugée non soutenable. Car l'Allemagne refusant cet allègement, le FMI exigeait pour rester dans le plan des mesures d'austérité supplémentaire pour atteindre l'excédent primaire prévu. L'Allemagne, hostile à l'allègement, a donc exigé le maintien du FMI qui y est favorable, mais qui exige plus de "sacrifices" s'il n'y a pas d'allègement. Et Tsipras s'est donc vu contraint d'accepter le maintien du FMI... et l'absence d'allègement, en attendant l'aggravation des mesures d'austérité, c'est-à-dire un Mémorandum IV qui est désormais sur le feu, même si on ne l'appellera pas ainsi.

Et si les mesures demandées par le Quartet sont illégales...

"Le président de l'Eurogroupe a toutefois rencontré l'opposition du ministre des Finances grec Euclide Tsakalotos. Ce dernier a ainsi déclaré que la Grèce ne pouvait légiférer sur des "mesures préventives" car la loi ne le permettait pas. Jeroen Dijsselbloem a cependant estimé qu'on pouvait trouver un moyen.

"Nous devons travailler sur le concept de ce mécanisme; il y a bien sûr des contraintes légales et nous ne pouvons ni ne voulons passer outre ces dernières. Il sera conçu pour être crédible et légalement possible", a-t-il expliqué."

Savoureux, non ? pour une Union européenne prétendument fondée sur l'Etat de droit. Le fascinant, avec l'UE, c'est qu'elle va toujours plus loin, dans la bêtise et le crime, avec la meilleur conscience du monde.

Et singulier négociateur que ce Tsipras ! Il semble, aujourd'hui qu'en échange de ce quatrième mémorandum, il ait obtenu un reprofilage de la dette dont on rediscutera... après 2023.

Un reprofilage pas une réduction du montant... c'est-à-dire un allongement des remboursements.

En 2023, car le Quartet juge qu'il n'y a pas péril en la demeure et que, pour l'instant, la Grèce est en état de faire face aux échéances, celles-ci ne devenant inquiétantes, par leur poids, qu'en 2023. Il faut dire qu'en échange du 3e mémorandum il avait obtenu l'ouverture de négociations sur l'allègement de la dette en novembre dernier. On les attend toujours, c'est vous dire si on attend avec intérêt 2023 !

Sans doute n'a-t-on jamais vu aussi clairement la nature impérialiste de la dette : c'est une laisse et une muselière destinée, comme l'Union européenne, à priver les peuples de toute maîtrise de leur destin.

Sur ce blog, le 21 août 2015, j'écrivais ceci :

"Car l'élément certain, c'est que la politique de capitulation acceptée par Tsipras, violemment déflationniste, conduira rapidement à plus de faillites, plus de chômage, plus de récession et donc, malgré les augmentations d'impôts, à une baisse des recettes fiscales. Une telle politique n'a jamais eu et ne peut avoir d'autre résultat. Avec, dans six mois ou un an, de nouvelles exigences européennes, de nouvelles coupes budgétaires, de nouveaux reniements, de nouvelles augmentations d'impôts - un quatrième mémorandum -, de nouvelles défections dans la majorité, de nouvelles élections..."

Nous sommes huit mois plus tard (j'écrivais entre six mois et un an). Et le Mémorandum IV arrive à grands pas... à quand les prochaines élections et le Mémorandum V ?

C'est dans ce contexte qu'a eu lieu une montée en tension dans l'espace égéen.

En réalité, l'islamofasciste Erdogan multiplie ces temps-ci les provocations sur tous les fronts. Sur le front intérieur avec la répression de l'opposition démocratique, on est désormais à la tentative de faire interdire le HDP. Sur le front kurde, en Turquie comme en Syrie : provocations verbales, arbitraire et violences policières à l'intérieur, coup de poignards dans le dos aux Kurdes de Syrie qui combattent Daesh, toujours soutenu par le régime islamofasciste turc malgré les pressions américaines. Le roi de Jordanie a d'ailleurs récemment accusé le régime Erdogan d'organiser l'acheminement des terroristes en Europe occidentale. Sur le front européen : Erdogan a déclaré nul et non avenu le rapport du prétendu Parlement européen - qui n'a de Parlement que le nom - sur le recul de l'Etat de droit et des libertés en Turquie. dans le classement mondial de la liberté de la presse publié il y a quelques jours par reporters sans frontières, la Turquie pointe au 151e rang sur 180 Etats classés... Sur le front caucasien : l'Azerbaïdjan n'aurait sans doute pas pris le risque de rallumer le conflit au Karabagh sans le feu vert d'Akara, provoquant illico la déclaration d'Erdogan apportant son soutien à Bakou... jusqu'au bout, son Premier ministre se chargeant de l'explication de texte pour rajouter : jusqu'à l'Apocalypse.

Ajoutons encore que l'islamofasciste Erdogan est, avec le Qatar et l'Arabie Saoudite, un des agents de la "radicalisation", fondamentalisation" des communautés musulmanes des Balkans, en Bulgarie, ARYM, Albanie, au Kosovo, en Bosnie... régions où l'islam était plus culturel que religieux, très "tolérant" et peu observant, mais où les pétrodollars et le néo-ottomanisme turco-fondamentalisme tendent à changer radicalement ce visage. Les Balkans auraient ainsi fourni plus d'un millier de combattants à Daesh... en attendant leur retour dans des sociétés paupérisées à structure mafieuse, sans avenir ni perspective, et où les armes prolifèrent...

Alors que la situation économique en Turquie ne cesse de se détériorer (et les provocations d'Erdogan qui feront chuter le tourisme russe n'ont guère de chance d'arranger les choses), comme chez tous les soi-disant "émergents" qui pâtissent de plus en plus durement de la stagnation mondiale, dont la déflation européenne est une des causes, le régime islamofasciste turc est à mon avis engagé dans une folle fuite en avant impérialiste dont la multiplication des viols de l'espace aérien turc ces dernières semaines est un des signes.

La manipulation des flux migratoires a parfaitement fonctionné. La Turquie a d'abord facilité l'arrivée des migrants sur son sol dans un premier temps en levant l'obligation de visas pour les ressortissants d'un grand nombre de pays. Car les migrants déversés sur les îles grecques ne sont pas, et de loin, que des réfugiés syriens ; on compte notamment beaucoup de Maghrébins. Elle a également contribué largement à créer le chaos en Syrie et à financer, armer Daesh, donc à générer les réfugiés arrivant sur son sol. Elle a ensuite rançonné ces gens : police, mafias de passeurs... tout le monde a pris sa part. Jusqu'aux commerces des ports proches des points de départ reconvertis dans la vente de zodiacs et gilets de sauvetage : il faut voir les photos publiés dans la presse grecque... et pas dans la française.

Elle a ensuite dirigé les flux vers la Grèce affaiblie par cinq années de Troïka : remarquez que la frontière bulgare n'a pas subi la même pression migratoire. Et le chantage a marché : le régime turc a déjà obtenu 6 milliards de Mme Merkel, principale écorcheuse de la Grèce, partie à Ankara sans mandat européen, qui y a négocié sans mandat et qui ressuscite ainsi la vieille alliance germano-ottomane. Mais son but a toujours été la circulation des citoyens turcs sans visa dans l'UE... des citoyens turcs et des terroristes de Daesh qui ne devraient pas avoir trop de mal à obtenir un passeport turc grâce à leur connexions et relais...

Cette concession-là de l'UE a été faite... en principe. mais il semble que certains y renâclent encore. On ne saurait les blâmer ! Du coup, quelques provocations de plus dans l'espace aérien grec ne pouvaient que rajouter un peu à la pression, la décision définitive sur les visas étant imminente. Quant au gouvernement grec, déjà humilié par le Quartet, incapable de faire valoir les intérêts du pays lors de la fermeture de la route des Balkans à l'initiative de l'Autriche... il ne pouvait pas se permettre de ne pas au moins mimer une réplique... sur le terrain ultrasensible pour le patriotisme grec des permanentes provocations turques.

Malgré la disette budgétaire dont souffrent les Forces armées helléniques et qui les mettraient hors d'état, probablement, de répliquer à un défi sérieux de la part de la Turquie, le ministre de la défense Kamménos - ex-souverainiste qui quitta la droite par opposition aux deux premiers mémorandums, avant de ratifier le troisième - enfila le treillis et se montra pendant quelques jours un peu partout pour manifester la résolution de son gouvernement à ne pas céder aux intimidations. Le patriotisme, l'orthodoxie sont au fondement même des principes que défendent les Grecs indépendants, la formation créée par Kamménos et qui gouverne en coalition avec Tsipras depuis janvier 2015. Voici quelques semaines il avait même exigé la démission d'un de ses collègues syriziste qui avait parlé de Macédoine au lieu de Skopje ou Ancienne République yougoslave de Macédoine.

Sauf à finir de se déconsidérer totalement, Kamménos ne pouvait donc faire autre chose que de gesticuler. C'est ce qu'il a fait et pendant quelques jours la marine et la chasse grecque ont multiplié les sorties afin d'imposer le respects de l'espace maritime et aérien grec. Si bien que d'un bout à l'autre du pays, les Grecs ont vu les Mirage et F16 voler à basse altitude, ici, là, ailleurs, au-dessus d'Athènes, pour montrer au peuple grec qu'on ne restait pas l'arme au pied. Ce qui, dans une période où le gouvernement est de plus contesté, impopulaire... ne pouvait pas faire de mal.

Pour l'heure, il semble que les choses soient revenues à peu près à la normale... Mais je ne doute pas qu'à un moment qui lui semblera favorable ou opportun, le sultan d'Ankara n'en remette une couche !

Quant à Zoé... il faut lire son "J'accuse", envoyé à Tsipras, à propos de la totale inaction, ou de la complicité, du gouvernement Syriza dans les affaires de corruption... Car même là-dessus Tsipras a trahi ses engagements. Il est pour le moins édifiant.

Alors on me demande mon avis sur son nouveau parti... Comment vous dire ?

D'abord, les gens qui ont accompagné jusqu'au bout (le retournement d'après référendum) la catastrophe Syriza n'ont plus aucune crédibilité en Grèce. Les autres non plus d'ailleurs et c'est bien le problème.

Syriza a fini de décrédibiliser toute parole politique. Ce qu'on nous a dit en décembre-janvier, c'est : ils savaient ce qui se préparait et ils sont restés, ils n'ont rien dit, ils nous ont trompé et ils nous retromperont s'ils reviennent. Ou bien s'ils ne savaient pas et, là où ils étaient, c'est qu'ils étaient incompétents.

On verra pour Zoé mais ce qu'elle dit sur l'euro est à mes yeux totalement incohérent et je pense qu'elle est absolument inaudible. Elle l'aurait peut-être moins été si elle avait été élue à Vouli, c'est-à-dire si Laïki Enotita était parvenue à construire l'ébauche d'un front, au moins d'un cartel électoral, avec EPAM et Antarsya... Mais Laïki Enotita ne l'a pas été, s'est coupé des gens qui pensent nécessaire de sortir de l'euro (Lapavitsas a pris ses distances, y compris géographiquement, alors qu'il est le seul à tenir un discours clair sur l'incompatibilité entre l'euro et n'importe quelle "autre politique) et continue à cultiver la même ambiguïté.

Quant à un nouveau parti, groupusculaire, qu'apportera-t-il dans une mouvance à gauche de Syriza qui est déjà complètement atomisée ? Rien, sinon un groupuscule de plus. Et pour dire quoi ? Les mémorandums sont inacceptables. Oui et alors ? c'est aussi ce que disait Syriza avant janvier 2015. Syriza disait même : plus un sacrifice pour l'euro ! Hier soir à la télévision, Zoé a donné sa version : "aucune monnaie ne justifie qu'on abolisse la Constitution". Soit mais alors que fait-on ? Réponse : la question monétaire est secondaire. Et c'est là qu'elle se trompe parce qu'elle ne VEUT pas voir la réalité. Toute autre politique que celle des mémorandums suppose la sortie de l'euro. C'est une condition non suffisante mais absolument nécessaire. Sauf que, lors du peu fameux sommet du Plan B, elle a dit : "Nous n'allons pas leur faire cadeau de l'euro". Autrement dit nous allons y rester et changer le rapport de forces pour le réformer.

Illusion. Désastreuse illusion.

La même - exactement - que celle de Syriza avant janvier 2015 (si l'on n'accepte pas l'hypothèse, pour moi de plus en plus probable, que toute l'affaire Syriza, pour le noyau dirigeant qui est aujourd'hui au pouvoir, n'a été qu'une manipulation cynique destinée à occuper le pouvoir et à bénéficier de ses prébendes en étant résolus dès l'origine à ne rien changer). La même que celle du pauvre Varoufakis qui a, lui aussi, créé son particule proeuropéen et qui en vient à faire l'éloge de... Macron.

Le fascinant, pour moi, aujourd'hui, c'est que tous ces gens sont en réalité absolument incapables, malgré ce qu'ils ont vécu, de renier leur eurolâtrie congénitale. Médiocrité intellectuelle ? Absence de courage ? En tout cas cela me semble pathétique.