Gramsci analysait l'unification italienne comme l'annexion du Sud par le Nord, entraînant sa colonisation, son appauvrissement et finalement sa dépossession de lui-même.

Sous couvert d'Union européenne, c'est en réalité ce qui se passe aujourd'hui entre le Nord et le Sud de cette soi-disant union.

J'apprends ce matin par un message d'un de mes amis Facebook grec, Dimitris Alexakis, que Jan Fabre (directeur artistique de fait du Festival d'Athènes) a annoncé hier qu'il n'y aurait (à trois pièces antiques près, programmées par le Théâtre National) pas de productions théâtrales grecques au Festival d'Athènes cet été : l'essentiel du programme sera couvert par des productions belges."

Depuis six mois, le gouvernement tsipriote a multiplié les limogeages de directeurs de grandes institutions culturelles qui généralement avaient des bilans assez flatteurs et faisaient plutôt consensus... pour les remplacer par des gens qui doivent plus au clientélisme qu'à leurs talents éclatants, Syriza montrant ainsi qu'il n'a probablement jamais eu l'intention de changer le système en quoi que ce soit, mais seulement d'occuper la place d'un système partisan effondré et d'en tirer les profits.

Le passé de l'Anversois Jean Fabre avait néanmoins laissé quelques espoirs à certains que le festival d'Athènes reste fidèle à sa réputation de création, bien que beaucoup de Grecs se soient aussi étonnés qu'on ait jugé aucun de leurs compatriotes digne de diriger cette manifestation...

Las ! Le ministre syriziste Baltas et Fabre ont annoncé hier que la programmation du directeur viré était purement et simplement annulée, puis, sans rire, que le "focus" du festival d'Athènes pour les 4 prochaines années serait : "Qu'est ce que ça veut dire aujourd'hui d’être Belge?" Conséquence immédiate donc : aucun spectacle d'aucun créateur grec cette année, alors que la scène grecque est des plus vivantes, animée par une multitude de troupes et d'artistes de renommée internationale et qui, depuis six ans, ont de plus en plus de mal à survivre, jouant parfois de manière bénévole... Et les années suivantes ? On accordera royalement un quota de 30% maximum d'artistes grecs "qui seront soutenus sous la forme de... workshops - pour apprendre au contact de leurs collègues flamands ?" se demande le Français d'Athènes Jacques Spohr.

Merci not'bon maître de faire un peu la charité aux artistes de la colonie !

Mari Mari-Mai Corbel, que j'ai connue à Marseille, fin 2014, lorsque j'ai été invité par le MUCEM pour une série de débats autour de la crise grecque, est une amoureuse de la Grèce, d'un Grec, de la culture, c'est aussi une artiste qui écrit désormais de passionnantes chroniques grecques dans la revue en ligne Diacritik. Elle est partie s'installer à Athènes peu après notre rencontre à Marseille, nous partageons de nombreuses convictions,, bien des sentiments et des perceptions. Lors de la nomination de Fabre, elle était de ceux qui espéraient ; aujourd'hui, je lis d'elle ce commentaire du programme qu'elle a reçu hier :

"Lorsque je l'appris, j'ai très imprudemment pensé que c'était une bonne nouvelle pour la création ici. Bien mal m'en a pris. C'est un véritable scandale. L'Anversois vient se pavaner ici en raflant les fonds du festival qui étaient une des rares sources de subvention pour la création grecque. Et la sert sur un plateau d'argent à des Belges. Enfin disons à la Flandre. Ou plus précisément à ses potes. (...) Il n'entend même pas ce que l'expression de guerriers étrangers sur un sol aussi sensible peut vouloir dire. Tout un blabla, un fatras où il assure que 30 % maximum de la programmation sera réservé aux artistes grecs à partir de 2017. C'est que le pauvre chéri ne connaît pas ces fameux artistes grecs (mais où se cachent-ils ?) et qu'il veut sélectionner les meilleurs (toute une mentalité), il parle d'ailleurs moins d'artistes grecs que de young greek artists. A partir de quel âge sort-on de cette catégorie ? Passons. Le meilleur c'est qu'il veut sincèrement les aider : cette année il va en sélectionner 50 (comment ?) pour leur offrir des billets de théâtre !!!!!!! (qu'ils se déprovincialisent un peu, hein) et leur permettre d'assister à de célestes master classes dirigées par de grands esprits genre la vieille Teresa. Ça c'est ce qu'il appelle l'aide structurelle et financière !!!!! rien en production, mais rien, midden! Comme si ici on était dans la cambrousse. Les artistes que je connais sont tous allés dans des écoles à Londres, New York, en France, en Allemagne, ont tissé des liens dans toute l'Europe... et ont bien évidemment déjà vu du Jan Fabre (une fois ça suffit, on a vite compris la musique). C'est pas tout : Jan Fabre vient en Grèce, donc le théâtre en Grèce, hein, c'est la TRA-GE-DIE. Donc d'ici 2019 il va nous en remettre une couche. Puis c'est pluridisciplinaire : des acteurs grecs vont devoir se taper des textes belges (un bel échange en perspective). Les plasticiens grecs vont devoir également se taper les plasticiens belges qui vont carrément avoir une exposition à leur honneur à l'ouverture du nouveau musée contemporain. Je finis sur la perle ; Jan Fabre va venir montrer ce qu'est l'Europe aux Grecs. Ben oui : des gens qui viennent piller la Grèce sous couvert de grandes idées (il arrive même à placer le multiculturalisme dans un langage religieux de "promesse"). Sinistre imbécile ! Gros flandrois suffisant ! Barbare inculte ! Sac ranci de préjugés ! Gros lourd ! Ah j'oubliais, il va nous fourguer Isabelle Huppert aux cachets faramineux dans Epidaure, en 2019 je crois !!!!!"

Combien de spectacles des Grecs pourraient-ils monter avec son seul cachet ?

Eh bien voilà, on est désormais fixé. La politique de Syriza est une réussite aussi éclatante dans le domaine culturel que dans les autres.