Chaque semaine, désormais, apporte un train de nouvelles mesures prises par le gouvernement de capitulation (pour ne pas employer un autre mot que l'histoire a chargé d'infamie), votées par le Parlement en exécution de la capitulation initiale du 13 juillet. Chaque semaine, Tsipras qui avait promis d'être chaque mot de la Constitution, de mettre fin aux lois omnibus votées selon la procédure d'urgence, généralement de nuit, au mépris des droits d'amendement du Parlement transformé en chambre d'enregistrement des diktats de l'étranger, ajoute une monstruosité à une autre approchant, à chaque pas davantage, un pays et un peuple que j'aime d'un abime dont on ne connaît ni la nature ni la profondeur.

La dernière est de taille. Qu'on en juge (source Iskra, site Internet de l'Unité populaire, la scission anti-mémorandaire de Syriza) :

"Le gouvernement Tsipras d’après la reddition va au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer, au-delà des désirs inavoués des gouvernements-vassaux les plus à droite, en mettant à l’encan et en hypothéquant tous les « emprunts rouges ». Il s’agit en réalité de toute la richesse immobilière des ménages, de l’ensemble des entreprises grecques, et dans le même lot de l’ensemble de la richesse publique, rassemblée dans un superfonds au sein duquel un rôle prépondérant -si ce n’est le contrôle effectif-, reviendra aux étrangers.

Ces mesures abominables, avec beaucoup d’autres-tout aussi inadmissibles, font partie de l’accord avec les « institutions », qui a été inscrit dans le projet de loi des prérequis exigences des créanciers NdT déposé samedi pour être voté dans le cadre d’une procédure d’urgence avant mardi, en totale violation, une nouvelle fois, des règles de fonctionnement de l’assemblée et de la constitution.

Concrètement, dans le projet de loi, les fonds vautours ont par principe la possibilité de racheter les emprunts rouges des grandes entreprises et les prêts immobiliers, sauf ceux de l’habitation principale, et à partir du 15 février, la voie sera également ouverte au rachat des emprunts des petites et moyennes entreprises, des prêts pour l’habitation principale et des prêts à la consommation.

Le gouvernement a demandé et obtenu un « délai politique » concernant le cadeau fait aux fonds des habitations principales et des PME, dans le but de donner la priorité au projet de loi sur l’assurance sociale.

En même temps, avec le projet de loi, se constitue un super-fonds qui comprendra le TAIPED et tous les biens publics (biens immobiliers, actions, DEKO entreprises et organismes publics NdT), y compris le TChS Fonds de Stabilité Financière NdT). Le super-fonds en question sera dirigé en réalité par les « institutions », il disposera en guise d’hypothèque de toute la Grèce, qui sera mise en liquidation pour rembourser les créanciers." (La suite sur ce site)

Cette mise à l'encan d'un pays tout entier par un parti qui, il y a tout juste un an, se préparait à accéder au pouvoir en se présentant comme le défenseur de la dignité des Grecs a quelque chose de pathétique, de révoltant, de profondément douloureux aussi.

D'autant que, dans le même temps, le bon élève Tsipras, qui croyait pouvoir obtenir, par son zèle, un peu de souplesse afin de rendre un peu moins inhumaines les mesures - sans issue économiques - qu'il choisi d'endosser, a dû renoncer devant le veto des créanciers. Son "plan social" visait à assurer un accès aux soins au tiers de la population qui n'a plus de couverture sociale, d'instituer des cellule de soutien aux personnes vulnérables, d'amplifier l'aide alimentaire d'Etat, de fournir de l'électricité aux plus pauvres à un tarif réduit et de développer le soutien scolaire.

Nein !

Le projet de loi a donc été retiré de l'ordre du jour du Parlement.

Tsipras fait ainsi l'expérience de son impuissance à obtenir la moindre marge de manoeuvre à l'intérieur de la logique à laquelle il s'est soumis. En réalité le gouvernement grec montre ainsi qu'il n'est plus, en rien, souverain. Qu'il n'est plus qu'un organe d'exécution de type colonial, une courroie de transmission à laquelle tout droit d'initiative est dénié.

Le problème, c'est qu'en signant la capitulation du 13 juillet, Tsipras ne pouvait l'ignorer.

En Allemagne, le Bild annonce (source le site grec de To Pontiki) qu'on en aura bientôt fini avec Tsipras, annonçant sa chute dans les trois mois. Pour une fois, j'aurais tendance à être d'accord avec lui, et c'est à peu près l'échéance que j'envisageais au lendemain de la victoire à la Pyrrhus des élections législatives de septembre.

Mais pour laisser place à qui ?

La droite est en ruine et incapable même d'organiser l'élection de son chef. Elle est aussi en cours de radicalisation autoritaire, révélant ainsi la logique des politiques européennes à l'oeuvre. Le PASOK est en état de coma dépassé. Potami, le parti de l'oligarchie médiatique financé par Bruxelles est en état de mort clinique et ne serait sans doute pas même présent au Parlement si les élections avaient lieu aujourd'hui. Unité populaire reste empêtré dans ses contradictions sur l'Europe et l'euro, incapable de tenir un discours clair sur la nécessité absolue de sortir de l'euro pour sortir de la spirale mortelle dont le peuple grec est prisonnier depuis cinq ans, incapable de construire un front du refus avec l'EPAM, Antarsya, le KKE, d'autres... Alors ?

Il faut bien reconnaître que les scénarios les plus sombres, que j'écartais absolument il y a moins de six mois, avant le référendum, lorsque Fabien Perrier, de Libération, me posa la question dans un entretien par téléphone, redeviennent possibles.

Tandis que l'Union européenne sous hégémonie allemande de plus en plus dure, paye au maître-chanteur Erdogan la rançon que la chancelière Merkel avait pris l'initiative, sans mandat, d'aller négocier avec le sultan, soutien de Daesh, en pleine campagne électorale, légitimant ainsi la stratégie de la tension destinée à assurer la reconduction, par la terreur, de l'AKP, les violations de l'Etat de droit et des droits de l'Homme, les arrestations arbitraires, procès d'opinion et autres joyeusetés qui, bien sûr, légitiment la relance de la négociation d'adhésion à l'UE d'un pays qui occupe au tiers, et colonise, un Etat de l'UE, tout en violant régulièrement l'espace maritime et aérien d'un autre, organisant de surcroît la submersion des îles grecques par un flux migratoire qu'Ankara n'a cessé de manipuler.

Il y a là, à mes yeux, une accumulation d'erreurs de jugement, de décisions criminelles, d'inconséquences qui sont sans équivalent depuis 1945.

Et il y a bien peu de chances que pareille accumulation ne se paye pas.