On enregistre la démission du chef de brigade en charge de la coordination de la lutte contre la fraude fiscale. Dans sa lettre de démission au Premier ministre, ce haut fonctionnaire justifie sa décision par l'absence de moyens budgétaires en rapport avec la tâche qui lui a été confiée.

La lutte contre la fraude fiscale faisait partie aussi bien du programme de Syriza que de celui des Grecs indépendants... mais "Tout coule" comme disait Héraclite au VIe siècle avant notre ère.

J'ai dit et répété, ici et ailleurs, après la capitulation de Tsipras, qu'on ne réforme pas un pays avec le couteau de l'étranger sous la gorge, surtout quand ce couteau est justement destiné à égorger le peuple et protéger les privilèges des puissants. Car la politique euro-allemande n'a jamais visé la réforme, elle n'a jamais visé à faire payer les riches qui, historiquement, en Grèce, ont été largement préservés de l'impôt. Cette politique n'a jamais été destinée à rendre l'Etat plus efficace - condition d'une progression du consentement fiscal. On ne trouve normal de payer ses impôts que lorsque l'Etat vous rend des services à hauteur de votre contribution.

En Grèce, la progression du consentement fiscal passe par la professionnalisation des fonctionnaires, pas par leur licenciement ; il passe par de meilleurs traitements, afin que les fonctionnaires n'aient pas à occuper un 2e emploi pour vivre décemment, ce qui nuit à leur productivité/assiduité, ni à demander des enveloppes à l'administré pour lui rendre les services dus, un administré pour lequel l'enveloppe est donc un second impôt ; il passe par l'investissement, pour que les fonctionnaires puissent remplir normalement leurs fonctions (lorsque, Nisyriote, vous allez à Kos pour contester une facture d'électricité et que vous attendez plusieurs heures parce que les ordinateurs ne fonctionnent pas en raison... d'une coupure d'électricité, votre consentement à l'impôt n'en sort pas renforcé...) ; il passe par la justice fiscale : que les riches et très riches, que la politique germano-européenne a encore enrichis depuis cinq ans, contribuent enfin à proportion de leurs capacités.

Mais de cela ni Merkel/Schäuble, ni Barroso/Druncker, ni Trichet/Draghi, ni Sarkozy/Hollande ne se sont jamais souciés. Au contraire, la politique germano-européenne n'a jamais visé qu'à dépecer l'Etat, à démanteler l'Etat social, privatiser la propriété commune au plus grand profit des intérêts privés (allemands au premier chef bien sûr, mais les grandes familles grecques qui sont à l'abri de l'impôt, championnes du capitalisme compradore, intermédiaires entre la Grèce et l'étranger dominant, en tirent aussi un très important bénéfice), à couper dans les dépenses publiques, à diminuer les traitements des fonctionnaires, à préserver les privilèges fiscaux, donc à détériorer, encore et à la fois, les services rendus aux citoyens et leur consentement fiscal.

Et que Tsipras/Syriza ait endossé tout cela, prétendument au nom du moindre mal et en réalité par vénération pour un fétiche monétaire allemand, est une tragédie démocratique.

La démission du responsable de la lutte contre la fraude fiscale, et les attendus de cette démission, en disent long sur cette tragédie - et sur la responsabilité écrasante de Tsipras/Syriza qui a renoncé à rien changer au système qui a ruiné la Grèce en acceptant le Diktat germano-européen.

Il y a quelques jours, j'ai signalé ici la démission de son mandat de député de Gavriil Sakellaridis, ex-membre de la garde rapprochée de Tsipras. Il faut signaler aussi la récente déclaration de Stathis Panagoulis, lui aussi élu Syriza en septembre, qui a donc échappé à la purge des listes par les Tsipriotes des éléments alors suspects de ne pas être les godillots de la politique mémorandaire version gauche radicale. Stathis est le frère d’Alexandros Panagoulis (auteur d'un attentat contre le colonel Papadopoulos, torturé, emprisonné dans des conditions inhumaines, assassiné après le retour à la démocratie : il faut lire Un Homme d'Oriana Fallaci qui fut sa compagne). Il a refusé de voter les mesures facilitant la saisie de la résidence principale des ménages surendettés, le 13 novembre dernier, et siège, depuis son exclusion, comme indépendant (l'autre dissident est Nikos Nikolopoulos, ancien député et ministre de la Nouvelle Démocratie, exclu pour son opposition au mémorandum Samaras, élu en septembre sur les listes des Grecs indépendants qui l'ont exclu à leur tour après ce vote). Il vient de déclarer qu'il voterait contre un projet de budget qui ne contient aucune mesure sociale, ne fait que répondre aux exigences absurdes des créanciers et mène le peuple grec à la "pauvreté absolue".

Peau de chagrin, la majorité de Tsipras se fait plus étriquée à chaque vote ; quant à l'opposition, elle aussi en pleine décomposition (le vote pour la présidence de la ND a été un retentissant fiasco et n'a pu se tenir en raison de défaillances techniques massives), elle a refusé (pour l'instant ?), lors de la récente réunion convoquée par le président de la République, à la demande de Tsipras, de servir de roue de secours au gouvernement.

Le délitement de la démocratie hellénique, sous l'effet de l'euro et des politiques germano-européennes, dont Tsipras et Syriza ont accepté de se faire les agents d'exécution (plus ou moins rétifs afin de mimer une résistance qui, de toute façon, n'obtient que des concessions symboliques), se poursuit donc lentement. Comme je l'ai écrit dès les lendemains du scrutin de septembre, la victoire ne fut qu'une victoire à la Pyrrhus, par défaut, sans perspectives ni lendemains.

Et pendant ce temps-là, l'Europe choisit de fermer les yeux sur les crimes d'Erdogan, sur son soutien à Daech, sur sa manipulation du mouvement migratoire. Elle choisit de fermer les yeux et de céder à son chantage en payant trois milliards, dont pas un centime n'ira bien sûr aux réfugiés et dont la totalité enrichira le système mafieux de l'AKP et le clan qui le dirige. L'Europe paye Erdogan qui, son chantage payant, n'a aucune raison d'y mettre un terme. Tout au contraire. Et elle menace d'exclure la Grèce de l'espace Schengen : d'abord je vous étrangle, je vous écorche, je vous étouffe, ensuite je file du fric à celui qui organise une vague migratoire qui vous submerge, et enfin je vous accuse de ne pas faire le boulot que je vous ai enlevé tout moyen de faire... La logique est imparable !

Pendant ce temps-là aussi, l'OTAN se déclare prête à intégrer le Monténégro... c'est-à-dire un Etat lui aussi totalement mafieux. Rappelons en effet que le Monténégro est dirigé depuis 1991 par un clan dont les parrains sont le Premier ministre Djukanovic et le président de la République Vukanovic, qui n'ont cessé depuis d'alterner à ces postes. Ce clan a mis le pays en coupe réglée, donné asile à des gros bonnets de la Mafia sicilienne, de la Camora et de la Dranghetta. Accusé par le parquet de Naples d'être un rouage essentiel du trafic de cigarettes (entre autres !) vers l'Italie, des millions de cigarettes de contrebande transitant par le Monténégro, Djukanovic a fait l'objet, en 2004, en Italie, d'un mandat d'arrêt pour crime mafieux et destructions de preuves... Il a en outre supprimé toute réelle liberté de la presse dans son pays.

Rappelons aussi que cette région (Kosovo, Albanie, Bosnie, ARYM, Monténégro) a été "réorganisée" aussi brillamment que le Proche-Orient par les Etats-Unis (ici très efficacement secondés par l'Allemagne : les services spéciaux teutons ont notamment couvé, armé, formé, protégé les terroristes de l'UCK kosovare, Mme Merkel n'ayant pas rechigné à serrer la main de Thaçi, fortement soupçonné d'être l'organisateur d'un trafic d'organes d'êtres humains prélevés sur des prisonniers serbes sans anesthésie...), et qu'elle est aujourd'hui un foyer de radicalisation islamiste (la Turquie, l'Arabie, le Qatar, comme ailleurs, sponsorisent l'intégrisme dans des populations musulmanes de Bosnie, du Kosovo, d'ARYM, d'Albanie, de Bulgarie à l'Islam autrefois très souple et "arrangeant"), et un inépuisable réservoir d'armes pour les terroristes islamistes qui circulent, grâce à Schengen, aussi facilement que, grâce à l'UE et au Luxembourg de Druncker, les riches et les grandes entreprises peuvent échapper à l'impôt par l'optimisation/évasion fiscale.

Dans ce panorama bien sombre, reste l'espoir d'un prochain écroulement sur soi de cet édifice européen qui tue nos économies, notre Etat social, notre démocratie, nos nations - qui prive d'espoir, par ses politiques criminelles, par sa déification du Marché, de la Concurrence, de la Monnaie, les jeunes qu'elle jette dans des idéologies démentes et barbares. Car les peuples ne cessent plus de dire Non aux politiques criminelles de cette Europe : Non des Grecs trahi par Tsipras, Non des Finlandais dont le Parlement débattra bientôt de la sortie de l'euro, Non des Polonais, Non des Portugais engagés depuis peu dans une expérience de type Syriza (un gouvernement qui se dit de gauche et veut rompre avec l'austérité consubstantielle à l'euro tout en restant dans l'euro... mais soutenu par un PC et un Bloc de gauche qui ont tiré les leçons de l'échec de Syriza et disent nettement que l'euro n'est plus compatible avec la démocratie), peut-être un Non, demain, des Britanniques, le Non, hier, des Danois.

Combien de temps encore l'Europe et ses "élites" faillies, hors-sol, pourront-elles ignorer ce que disent les peuples, s'asseoir sur leurs votes et continuer comme avant ? En France, cette folie va sans doute aboutir dimanche à un nouveau séisme. Car on ne combat pas le Front national avec des injonctions morales ; on le combat en rompant radicalement avec les politiques germano-européennes qui, depuis 30 ans, n'ont cessé tout à la fois d'échouer et de le nourrir.