Du livre de Fabrice Grimal, Vers la révolution. Et si la France se soulevait à nouveau ? (Éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2018, 341 pages, 24 €), il faut dire d’abord qu’il est sorti au printemps 2018, et qu’il a donc été écrit bien avant le déclenchement de la crise des Gilets jaunes. Ce qui témoigne d’une singulière clairvoyance sur l’état de la société française.

La deuxième chose qu’il faut préciser, c’est qu’il n’est pas de ces produits éditoriaux, si nombreux à encombrer les tables des libraires, dont on a tout oublié dans l’heure après qu’on les a refermés et qu’on peut revendre sur un site d’occasion sans le moindre regret. Le livre de Grimal au contraire pose tant de questions, soulève tant de lièvres, excite sur tant de points la réflexion qu’il faut y revenir, le rouvrir, corner, souligner, relever telle ou telle référence de lecture complémentaire dans lesquelles il nous donne envie de nous plonger. C’est même le principal reproche qu’on peut lui faire, un reproche commun à tout auteur de premier livre : vouloir tout dire, sans rien omettre, et parfois avec une profusion de citations, comme si l’on ne se sentait pas encore tout à fait assez légitime pour avancer seul sa réflexion. Reproches bénins, au demeurant, tant l’ensemble du livre est stimulant.

Alors de quoi s’agit-il ? Ni d’un livre de prophète annonçant la lutte finale et l’avènement de lendemains qui chantent, ni d’un bréviaire de la révolution qui serait annoncée. Il s’agit d’abord d’une autopsie méticuleuse de l’état morbide dans lequel se trouvent la France et les Français : dogmatisme et médiocrité des prétendues élites, aveuglement face à l’Union européenne, néolibéralisme, libre-échangisme, dévitalisation d’une démocratie devenue une forme sans contenu, délabrement des appareils syndicaux rongés par la connivence… sur chaque dossier le diagnostic est aussi étayé qu’implacable.

En trois parties et quatorze chapitres, Fabrice Grimal étudie d’abord l’actualité du concept de révolution, pourquoi le changement brutal de l’ordre politique par un mouvement populaire redevient une possibilité. Il se pose ensuite la question des fins que devrait se fixer aujourd’hui un mouvement révolutionnaire, qu’il s’agisse de la réhabilitation de la nation – lieu de toutes les conquêtes démocratiques et sociales qui sont aujourd’hui en voie de liquidation par et au nom de l’Europe –, de la réappropriation de la monnaie dont la gestion a été abandonnée aux banques privées sous prétexte de banque centrale indépendante, de l’indispensable remise en cause du libre-échange et de la réinvention d’un protectionnisme adapté au monde d’aujourd’hui, de la reprise en main des biens communs abandonnés au privé…

Enfin la troisième partie se fait prospective, tentant d’évaluer les chances/risques d’une explosion, les forces de rappel et celles qui peuvent contribuer à la transformation (qui n’a pas abouti lors du mouvement des Gilets jaunes) d’un soulèvement en révolution.

Bien sûr, tel argument ou telle analyse peuvent ne pas emporter l’adhésion, susciter une distance critique. Mais l’important n’est pas là ; l’important est dans le mouvement général de ce livre, dans le tableau de la réalité qu’il peint et dans la perspective qu’il dessine du caractère non soutenable de cette réalité qui rend possible (ou probable, ou certain ?) un de ses spasmes qui changent la face du monde en changeant celle de la France.

Enfin, et ce n’est pas le moins séduisant dans ce livre, un épilogue nous présente sous la forme du journal d’un blogger, en juillet 2023, ce que pourrait être un scénario aboutissant à la déposition de Macron.

Précisons encore, pour terminer, que Fabrice Grimal n’a pas atteint la quarantaine, qu’il a été formé à l’ESSEC et appartient au monde de l’entreprise… Qu’un tel livre soit écrit par un tel homme est pour moi une source d’espoir, l’auteur nous apportant ainsi la preuve que le formatage n’est jamais qu’une gangue qu’on aurait tort de croire indestructible.