Sarkozy n’a sans doute jamais été gaulliste ; Sarkozy c’est la vieille et éternelle droite réactionnaire et cléricale qui n’apprend ni ne comprend jamais rien. Celle qui en 1792 est allée chercher les monarques coalisés pour sauver le Trône et l’Autel, celle qui en 1871 profita de la divine aubaine de la victoire prussienne pour écraser le réflexe patriotique qui engendrait la révolte populaire, celle qui pensa « plutôt Hitler que Blum » et qui trouva son héros dans Pétain, celle qui se rua, dans les années 50, à la sujétion de rechange qu’offraient les Etats-Unis d’Amérique.

Sarkozy, c’est la vieille droite rance qui ne veut pas seulement sa revanche sur 68 mais sur la décolonisation, la Séparation de l’Église et de l’État et la Révolution de 1789 ; sur une France républicaine qui a un message original à délivrer au monde. Sarkozy ce n’est pas la rupture c’est la régression ; c’est le refus de penser la complexité du monde, c’est le retour aux vieux réflexes autoritaires et xénophobes à l’intérieur, à la passion de la dépendance par rapport à un Patron extérieur.

Les commémorations sarkoziennes de De Gaulle et de la Résistance sont des leurres. Il y dit le contraire que ce qu’il fait – sinon de ce qu’il pense (ce que je suis incapable de savoir). Les lois Dati qui ressuscitent la détention administrative d’un homme pour ce qu’il est censé être, dans son essence intemporelle et inamendable (rappelons-nous de l’entretien du candidat avec Onfray : les pédophiles et les suicidaires ne peuvent l’être que génétiquement), non pour ce qu’il a fait, les lois Dati qui ont tenté de s’asseoir sur le principe de non-rétroactivité de la loi pénale sont en prise direct sur l’héritage législatif de Vichy. C’est la première fois depuis Vichy qu’un Gouvernement français fixe des quotas d’êtres humains à arrêter et expulser. La taxation des malades chroniques, autrement appelée franchise médicale, comme le démantèlement en cours des retraites et du droit du travail, la généralisation des travailleurs pauvres et des retraités poussés chaque jour davantage vers l’indigence est le démontage systématique du programme social du Conseil National de la Résistance.

Car si la Résistance fut d’abord, pour beaucoup, un réflexe contre l’inacceptable – une occupation étrangère –, elle fut aussi une réflexion sur ce que devait être une société moderne. Celle-là même que la IVe République puis de Gaulle ont construit, que tous les gouvernements jusqu’au précédent se sont donné pour mission de défendre – bien ou mal c’est une autre histoire ; celle que ce gouvernement-ci a entrepris de démanteler, pour renvoyer les humbles au plus de précarité possible qui les laissera les plus démunis et donc les plus corvéables possibles, devant les « frères » du président, cette classe de plus en plus réduite et de plus en plus riche qui vide chaque jour davantage la démocratie de tout véritable contenu.

Mais la destruction de l’héritage de la Résistance et de De Gaulle ne pouvait s’arrêter là. Elle ne pouvait qu’aller de pair avec la destruction, dans l’ordre extérieur, de l’idée d’une France indépendante à la parole et aux mains libres, qui porte un message qui lui est propre et ne s’engage que dans les guerres qui sont les siennes.

À leur manière, Pompidou, Mitterrand, Villepin… et même Giscard – le vrai prédécesseur de Sarkozy en tant de matières, notamment en matière d’abaissement national – ont porté ce message-là.

Mais Sarkozy, lui, ne supporte pas cette idée d’indépendance. Pour lui, il y a un camp occidental et le reste du monde. Les Bons et les méchants (comme il y a les gens normaux et les dangereux qu’il faut enfermer). Le rôle de la France n’est pas d’être fidèle à ses valeurs et à ses héritages, de tenir son rang, de défendre la vision d’un monde multipolaire, de se déterminer en fonction de ses intérêts, d’offrir un modèle alternatif à ceux qui pensent que la défense des valeurs qui fondent notre vision du droit et de la société internationaux ne signifie pas un alignement inconditionnel sur les intérêts américains.

Pour Sarkozy, être allié c’est être aligné. C’est faire où les Américains vous disent de faire. Pour Sarkozy, il fallait aller en Irak, il faut envoyer plus de soldats français en Afghanistan. Pourquoi ? Personne ne le sait. La politique de la canonnière, partout, toujours, conduit à des échecs. Les protectorats militaires finissent toujours dans le sang. Renverser les talibans étaient légitime, il fallait – avant – penser ce qu’on ferait après, mettre – ensuite – le paquet pour développer, équiper, donner des revenus, acheter la paix et un nouvel équilibre social, dégager un vrai consensus politique, pas soutenir coûte que coûte un homme sans doute élégant (au fait, une question me taraude : a-t-il le même fournisseur de châles que Mme Alliot-Marie ?), mais coupé des réalités et sans doute aussi corrompu que privé de tout moyen d’action.

Pour Sarkozy, il faut aujourd’hui mettre fin à l’aberration gaullienne, faire rentrer la France dans le rang. Cela ne pouvait pas même attendre une nouvelle administration. Non ! il fallait faire l’annonce de ce cadeau-là au président américain le plus démonétisé, le plus universellement haï depuis longtemps, au président dont la politique, en échec sur tous les fronts, est déjà condamnée par l’histoire comme par ses concitoyens. Un peu comme il était indispensable de dérouler le tapis rouge devant Kadhafi…

Et contre quelle contrepartie ? Un feu vert américain pour une chimérique Europe de la défense. Chimérique ? La défense est l’instrument d’une politique et d’une diplomatie. Mais l’organe ne crée pas la fonction. Se doter d’un ministre des Affaires étrangères européen ne créera pas une politique étrangère européenne : c’est toute l’absurdité de la construction européenne actuelle ! On crée des institutions, des superstructures, sans savoir ce qu’elles devront défendre. Comme si le calamiteux traité de Maastricht et l’absurde expérience de la Banque centrale ne suffisaient pas. Comme si, avant de créer une monnaie et un aréopage de banquiers tout-puissant qui, tels des médecins de Molière, asphyxient l’économie pour nous permettre de crever en bonne santé monétaire, il n’avait pas fallu dégager une politique économique et fiscale commune.

Chimérique parce que nous sommes les seuls, en Europe, à prétendre vouloir une Europe de la défense, parce que la manière même dont a été réalisé l’élargissement, sans réflexion, sans projet politique, condamne toute Europe puissance, toute Europe indépendante, et donc toute Europe de la défense.

Chimérique parce que l’OTAN est, de fait, pour tous les Européens sauf nous, la seule Europe de la défense qu’ils veulent. Parce qu’à partir du moment où cette alliance, qui aurait dû cesser d’exister en 1990 puisqu’elle n’avait plus d’objet, a persisté dans l’être, s’est développée par métastases, renforçant le poids de ceux qui, en Europe ne veulent pas d’autre Europe de la défense qu’elle, continuer de parler d’une Europe de la défense à côté de l’OTAN est absurde et relève soit de l’inconscience soit du double langage.

Cette contrepartie est donc une fausse contrepartie, destinée à servir de cache-sexe, aux yeux de l’opinion française, à la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN, à sa normalisation, à refermer la funeste parenthèse ouverte par de Gaulle, à la refaire marcher définitivement et automatiquement au pas et sous commandement américain – quelles que soit les concessions en trompe l’œil (un commandement ou l’autre) qui lui seront ou nous accordées.

La calamiteuse diplomatie du couple Sarkozy-Kouchner est un mélange de maladresses, d’erreurs de jugement, de confusion des genres, d’amateurisme et de vulgarité. A l'extérieur, elle fait rire souvent ; elle sème aussi la consternation chez tous ceux, dans le monde, pour qui la France représentait une alternative, la défense des valeurs occidentales et le respect des identités culturelles, le refus de l’alignement sur le cynisme de la puissance américaine.

Elle relève surtout d’une illusion, la même que celle qui a conduit les collaborateurs entre 40 et 44 à adhérer d’enthousiasme à l’Ordre nouveau, à revendiquer que des soldats français puissent combattre sous uniformes nazis ; celle des atlantistes ensuite, Blair (que Sarkozy veut logiquement mettre à la tête de l'Europe) ou Aznar récemment : le seul moyen d’action est d’« influencer » le maître, et pour avoir une chance d'être « écouté » de lui, il faut d'abord gagner ses bontés par une totale soumission. Mais les nazis ont toujours méprisé les collabos, les Américains n’ont jamais infléchi la moindre de leur décision sur les conseils de ceux qui s’étaient mis d’eux-mêmes en position de dociles serviteurs.

C’est l’exact contraire de la philosophie qui, en 1966, conduisit le général de Gaulle à dégager la France du commandement intégré de l’OTAN : « L’Europe, dont la stratégie est, dans l’OTAN, celle de l’Amérique, serait automatiquement impliquée » dans des conflits qu’elle n’aurait pas voulus, et qui pourraient ne pas correspondre à la défense de ses intérêts. « La volonté qu’à la France de disposer d’elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée. » (Conférence de presse du 21 février 1966).