Aujourd'hui, à Nisyros comme ailleurs dans le Dodécanèse, on commémore le rattachement à la mère-patrie grecque.

Grecques depuis toujours, ces îles furent successivement parties de l'empire byzantin, formèrent l'Etat que les chevaliers de Saint-Jean de Jerusalem établirent, avec Rhodes pour capitale, en quittant la Terre Sainte. Conquises par Soliman, elles furent sous domination ottomane jusqu'en mai 1912 lorsque l'Italie, qui tente de conquérir la Libye s'y heurte à une résistance inattendue. Rome décide alors de débarquer 12000 hommes dans le Dodécanèse pour montrer au régime jeune-turc que l'Italie pourrait agir plus directement contre lui.

Les Italiens sont accueillis en libérateurs. Malgré les siècles d'occupation turque, le peuplement des îles est resté presque exclusivement grec, sauf à Rhodes et à Kos où, pour des raisons stratégiques, le sultan a installé des colonies militaires et des vétérans qui ne formèrent jamais qu'une petite minorité.

Les Grecs des îles pensent alors que l'occupation italienne ne sera qu'une rapide transition vers l'enosis - le rattachement à la mère-patrie. Réunis à Patmos au début de juin 1912, les délégués des îles proposent à l’Italie de former, sous sa protection, un État autonome… en attendant mieux.

Ils se trompent. Le 18 octobre, à Ouchy, l'Italie signe avec l'Empire ottoman un traité qui prévoit la rétrocession du Dodécanèse au fur et à mesure que les Turcs évacueront la Libye.

Mais les guerres balkaniques et la guerre mondiale changent la donne. L'Empire ottoman, rangé derrière l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, génocidaire des Arméniens, des Assyro-Chaldéens et des Grecs, perd au traité de Sèvres, au profit de la Grèce, rangée au côté de l'Entente, toutes les îles de la Mer Egée, dont la plupart ont été libérées par le croiseur Averoff lors de la première guerre balkanique. Toutes... sauf le Dodécanèse que l'Empire ottoman cède à l'Italie, elle aussi membre de l'Entente. Toutes ces cessions étant confirmées par le traité de Lausanne que signe la jeune République turque en 1923. Entretemps, la purification ethnique à laquelle procède le régime kémaliste en Anatolie provoque le départ vers les îles, dans le Dodécanèse, comme dans les îles grecques du nord, de la population grecque qui y habitait depuis l'Antiquité (Kos est en face d'Halicarnasse devenue Bodrum, Nisyros en face de Cnide).

Les Italiens organisent alors la seule colonie d'Europe, avec Chypre devenue colonie de la Couronne britannique.

Leur tentative d'établir une colonie de population à Rhodes tournera court. Mais le régime mussolinien italianise l'enseignement et mène une longue guerre contre l'Eglise orthodoxe grecque, interdisant l'élection de nouveaux évêques lorsque meurent les titulaires de sièges épiscopaux qui restent vacants jusqu'au rattachement des îles à la Grèce. Car il voudrait imposer à l'Eglise des îles qu'elle se rattache au patriarcat latin de rite grec de Venise.

Cette politique sera un échec et se heurte à une résistance nationale que la police politique fasciste combattra à coup d'arrestations, de torture, d'emprisonnement.

Et lorsque l'Italie attaque la Grèce en octobre 1940, de nombreux Dodécanésiens fuient leurs îles pour aller s'engager dans l'armée grecque (on verra ci-dessous une peinture réalisée par les habitants sur le mur d'un ancien café de notre village, en pleine occupation italienne, montrant le serpent italien rampant vers les drapeaux grecs et le "Non", "OXI", opposé par le dictateur grec Métaxas au dictateur italien Mussolini le 28 octobre 1940).

En 1943, après l'armistice italien, alors que Churchill a déjà échoué à convaincre Roosevelt de débarquer dans les Balkans pour les libérer avant l'Armée Rouge, il tente de mettre Roosevelt devant le fait accompli (et de montrer à la Turquie d'Inönü qu'elle aurait intérêt à mettre fin à sa neutralité outrageusement favorable au Reich) en libérant le Dodécanèse et Samos où les soldats italiens ont mis la crosse en l'air et où les Allemands - hormis Rhodes où les Britanniques ne débarqueront pas - ne sont pas présents.

L'opération est d'abord un succès : les Britanniques et les Grecs du Bataillon sacré du colonel Tsigantès (ancien de la Légion étrangère française, commandant de cette unité d'élite grecque libre qui a combattu à El Alamein, en Libye, en Tunisie, qui combattra en Italie) sont accueillis en libérateurs par la population, les garnisons italiennes se rendent sans combat. Mais les Allemands organisent rapidement la reconquête : Léros, qui abritait une puissante base aéronavale italienne, est écrasée sous les bombes ; les combats font rage à Kos ; les Anglo-Gréco-Italiens perdent jusqu'à 60% des hommes engagés. Roosevelt refuse toute couverture aérienne à Churchill qui est obligé d'ordonner l'évacuation des survivants à laquelle procèdent la flottille de caïques du Special Boat Service (Forces spéciales de la Royal Navy), la marine grecque libre et deux navires des Forces navales françaises libres - laissant la population seule face à de sauvages représailles allemandes.

Les communautés juives de Rhodes et de Kos seront exterminées dans les mois qui suivent et les Allemands resteront à Léros et à Rhodes après l'évacuation de la Grèce. Avec Milos et Souda en Crète, ces garnisons allemandes ne capituleront que les 8 et 9 mai 1945. La famine y règne.

À Rhodes, où la famine règne et où il arrive quelques jours plus tard pour prendre en main la censure, l’officier et romancier britannique Lawrence Durrell témoigne, dans Vénus et la mer, que soixante personnes meurent alors chaque jour de sous-alimentation, dans cette île coupée du monde depuis octobre – les Anglais décident même d’importer des chats de Chypre afin de parer à la prolifération des rats, les matous locaux ayant été mangés jusqu’au dernier.

Le sort de Kastellorizo sera lui aussi tragique, écrasée sous les bombes, la population de l'île sera évacuée vers Chypre, mais certain des bateaux sont coulés durant le trajet.

Le 10 février 1947, est signé à Paris le traité de paix avec l’Italie dont l’article 14 dispose que le Dodécanèse et les îlots avoisinants deviennent grecs. Mais quels sont ces îlots ? Un accord italo-turc de 1932 avait été tenu secret jusqu’à ce qu’un officier antifasciste en eût révélé l’existence, en 1943, à l’un des chefs de la Résistance de Samos. Et c’est Tsigantès, nommé en 1945 commandant militaire du Dodécanèse sous administration provisoire britannique qui, après avoir fait dissimuler une jolie statuette dans les malles d’un haut fonctionnaire italien de Rhodes sur le départ, obtint, sous la menace d’un procès pour trafic d’antiquités, un exemplaire du précieux document délimitant la seule frontière maritime en Égée que la Turquie ait jamais accepté de fixer formellement.

Fin mars 1947, les autorités britanniques transfèrent l'administration du Dodécanèse à la Grèce, le 28 octobre 1947, anniversaire du « Non » de Métaxas à l’ultimatum fasciste de 1940, le Dodécanèse devient officiellement grec (son clergé continuant à dépendre du patriarcat œcuménique et non de l’Église de Grèce) et la cérémonie d'intégration a lieu le 7 mars 1948, date dont on commémore aujourd'hui le 73e anniversaire.

Oui, le Dodécanèse est grec et il restera... Et la zone économique exclusive que reconnaît le droit international à chacune de ses îles appartient à la Grèce et à nul autre.