Un superbe article sur notre copain Tom ! Ca éclaire notre journée !!!

Lorsque je me suis installé une première fois à Nisyros, pour deux ans, en 1997, dans l'autre village des hauteurs. Il y avait un jeune peintre anglais.

L'été précédent, après avoir vu le portrait d'une des figures de l'île, une espèce de Zorba en un peu plus alcoolisé, et demandé qui avait peint ce portrait, nous étions montés voir cet artiste qui avait sorti pour nous dans la rue écrasée de soleil, une quinzaine de toiles de grandes taille, aussi belles les unes que les autres.

Moment magique !

Nous avons demandé les prix... Tom a toujours aimé le dessin, ce n'était pas à la mode aux Beaux Arts de Londres. Il nous a raconté plus tard comment il s'était attiré les bonnes grâces du concierge qui lui ouvrait le petit local où on avait remisé les antiques qu'il était devenu has been de s'exercer à dessiner. Ses grandes admirations vont à Velasquez et Bacon.

A sa sortie de l'école, comme tout le monde, Tom faisait de l'abstrait sans intérêt, grisâtre. Il a eu une bourse pour venir en Grèce, avec sa compagne italienne, une volcanique Calabraise. Il y a découvert la lumière et la couleur.

Et quand la bourse a été épuisée, ils ne sont pas repartis. Ils sont arrivés à Nisyros, où le président du conseil paroissial de Nikeia leur a permis un temps de loger dans les dépendances d'une petite église perdue dans un coin près de la mer, au bout d'une longue route à l'époque en terre battue. Puis ils se sont installés dans une maison de Nikeia dont le toit fuyait lors des pluies mais dont ils ont fait un lieu aussi chaleureux qu'eux. Vivant de petits boulots (Ornella lavait des draps pour les chambres à louer de la mairie, Tom nettoyait les toilettes publiques...), ils étaient dans la dèche quand nous avons débarqué et qu'il nous a sorti les toiles dans la rue. Tom m'a dit plus tard qu'il leur restait alors, je crois, 150 drachmes. Sa galerie londonienne ne l'avait pas suivi lorsqu'il avait abandonné l'abstrait grisâtre, il n'avait rien vendu depuis.

Nous avons demandé les prix ; nous n'étions pas d'accord, Frédéric et moi, sur la toile que nous avions décidé d'acheter et de rapporter à Paris. Nous lui avons dit que nous reviendrions le lendemain après en avoir discuté pour prendre celle que nous aurions choisie. Tom m'a dit plus tard qu'il avait eu un sérieux coup de blues après notre départ : encore un espoir qui s'en va, ils ne reviendront jamais. Mais comme les prix d'alors nous le permettaient, lorsque nous sommes remontés le lendemain, nous avons pris les deux toiles et Tom m'a dit ensuite qu'ils s'étaient alors payé leur premier resto depuis des mois et eu de quoi vivre pendant pas mal d'autres ! C'est peut-être une des décisions de notre vie, à Frédéric et à moi, dont nous restons le plus heureux !

C'est Tom et Ornella qui m'ont trouvé la maison que j'ai louée à Alina pendant deux ans. Deux ans pendant lesquels j'ai écrit Le Plongeon et Le Château du silence. Nous avons mangé si souvent ensemble, discuté de la création en peinture et en littérature... Comme ma maison était exposée au sud, Tom me donnait ses nouvelles toiles à sécher dans ma chambre...

Il a fait le portrait de Frédéric, d'abord, puis le mien que vous pouvez voir en page de couverture de mon site en passant le curseur sur ma photo (olivier-delorme.com), et qui pour moi est une manière de Fayoum. Jai posé des heures pour lui, dans son petit atelier - expérience étrange et pas forcément très agréable de voir son visage se dessiner, s'effacer... Cette expérience et ce malaise, je m'en suis servi dans le Château du silence, dont Tom et Ornella ont fourni le modèle à des personnages - et c'est une toile de Tom qui en est la couverture.

Il a gagné un prix avec mon portrait ; un ami a vu partir celui de Frédéric sous le bras de son acheteur (un Américain, je crois) alors que, sur notre conseil, il venait voir les toiles de Tom dans sa nouvelle galerie. Car entre-temps Tom avait gagné le prix de la British Portrait Gallery avec son autoportrait (reproduit dans l'article, la pièce à fond vert) dans l'apotiki de notre voisine commune, la délicieuse Evghénia, plus de 80 ans, chez qui j'allais cueillir mes citrons, sur qui nous veillions et qui m'appelait aux offices de Pâques, d'une maison à l'autre, de sa voix de stentor : "Olivierrrrrrr Ekkliiiiiiiiiiseiiiiiiiaaaaaaa !!!!" - et avec une commande publique à la clé. Et une galerie de Soho a commencé à lui organiser des expos.

Ces deux années-là sont parmi les plus heureuses de mon existence. Nous avons toujours regretté de ne pas avoir acheté une toile de la superbe série de morceaux de corps de nageurs dans des fonds d'un bleu superbe. Nous en avons acheté quelques autres quand ses prix, qui ont vite bondi avec la commande publique et les acheteurs fortunés qui ont afflué, nous le permettaient. Tom et Ornella ont quitté Nisyros un an après mon départ ; ils se sont séparés.

Aujourd'hui, avec sa compagne grecque, il s'est lancé dans une nouvelle aventure à Lesbos, avec une maison qui accueille des stages de peinture.

On aime toujours autant ce qu'il fait ; on est allé le voir plusieurs fois dans son atelier d'Athènes ; nul doute qu'on ira les voir à Lesbos !

Mille bravos pour cet article, Tom ! On t'aime !!!