Sur Facebook, je me suis trouvé une espèce de jumeau qui se nomme Mathieu Morel. Je suis beaucoup, beaucoup plus vieux que lui, mais nous avons en commun un nombre incroyable de convictions et de références, alors qu’étant beaucoup beaucoup plus vieux que lui, j’avais déjà, jeune, des convictions et des références à l’opposé de celles de mes contemporains. Ainsi, à l’époque où mes condisciples avaient tous u portrait du Che au-dessus de leur lit, en place du crucifix et du buis béni aux Rameaux, ma chambre était-elle tapissée de citations grecques et latines et trônait au-dessus de mon bureau un autocollant Oui, relique qui s’est depuis perdue, détaché sur un réverbère, à Saint-Rémy, Saône-et-Loire, à l’issue malheureuse de la campagne référendaire de 1969. Et en troisième, je fus le seul de ma classe à refuser de faire « la grève des élèves » contre la loi Debré réformant le sursis, méritant ainsi le regard réprobateur du corps professoral, alors presque unanimement marxiste et presque unanimement barbu dans sa partie masculine, qui avait ardemment poussé à ce mouvement spontané des élèves – poussée tardive de ce soixante-huitardisme qui devait devenir fanatiquement libéral, libre-échangiste et bien sûr européiste.

Ainsi, quand ma sœur écoutait les Beattles, les Stones ou Led Zeppelin, j’adorais Marcel Merkès et Paulette Merval, j’achetais le 33 tour de Véronique (Poussez, poussez, l’escarpolette…) ou de La Belle Hélène (déjà !), et je faisais en 1969 ou 1970, devant une classe de 6e ou de 5e ébahie, un exposé sur l’opérette et l’opéra-comique illustré par des extraits soigneusement enregistrés sur un magnétophone à cassette. Un peu avant qu’elle aille voir Julien Clerc tout nu dans Hair, je mettais de côté mon maigrelet argent de poche (nos parents n’étaient pas bien riches) pour me payer (avec l’aide complice de ma grand-mère) une place au poulailler du théâtre municipal de Chalon-sur-Saône, sis un peu plus haut dans la rue aux Fèvres où nous habitions, afin d’y écouter La Belle de Cadix, Les Cloches de Corneville ou Les Mousquetaires au couvent, donnés par le Théâtre de Dijon en tournée. C’est vous dire d’où je viens !

Or donc, hier soir, à propos de Giscard, Mathieu Morel partagea le sketch Le Canard, de Robert Lamoureux. Parmi les 78 tours de mes parents, les deux disques de Robert Lamoureux sont sans doute avec le Tout va très bien madame la marquise de Ray Ventura et ses Collégiens, celui que j’ai le plus fait tourner sur l’électrophone. Sur l’un, il y avait Papa, maman, la bonne et moi et sur l’autre Le Canard. Mais il y avait deux face B, l’une dont je ne me souvenait pas mais que j’ai retrouvée en cherchant sur le net – un bel Éloge de la fatigue, petit poème aigre-doux, bien dans la belle tradition chansonnière à laquelle se rattache Lamoureux et que les prétendus humoristes analphabètes d’aujourd’hui seraient bien incapables d’écrire. L’autre, je me rappelais parfaitement qu’il s’agissait d’une chanson sur la banlieue, et j’en conservais l’air dans un coin de ma tête sans me souvenir le moins du monde des paroles.

Les paroles !

Et oui, mesdames, messieurs, je viens de ce monde-là…

Merci, Mathieu ! de cette madeleine qui a le goût et la texture, délicieux, amers et indéfinissables de toutes les madeleines de ce genre.

Sinon, hier, on a appris la mort de Roger Carel... Une autre madeleine.

Pour moi, Roger Carel c'est d'abord...

Une époque où la radio savait rire, et faire rire, sans humoristes lèche-culs qui ne font rire qu'eux-mêmes et les prétendus journalistes autour qu'on entend se forcer...

La fiction radiophonique est un art disparu, Dac, Blanche, Rognoni, avec des artistes complets comme Carel, le poussèrent au plus haut point de loufoquerie. Et bien sûr avec l'agent double Zorbec Legras... double, alias Roger Car

Signé... FURAX !!! et Bons Baisers de partout...

Il est vrai qu'aujourd'hui, les grands ciseaux vertueux des nouveaux culs-bénits ne laisseraient pas plus passer l'adjudant Tifrice qye les 10 petits nègres. Parce que la censure se prétend toujours vertueuse alors qu'elle n'est toujours qu'imbécile et liberticide : les censeurs d'aujourd'hui devraient savoir que le politiquement correct se retourne aussi facilement qu'une vieielle chaussette trouée.