Merci, cher Jean-Baptiste, de votre réaction à mon dernier billet - et comme je préférerais avoir eu tort !!!

Deux éléments de réponse à votre question. Les sondages d'abord, dont nous savons qu'en Grèce ils sont encore moins fiables qu'ailleurs, et ceci pour des raisons structurelles tenant aux groupes de médias auxquels appartiennent la plupart des instituts : ils ont bien plus pour fonction de tenter (en vain, on l'a vu pour le référendum comme pour les deux législatives de 2015) de fabriquer l'opinion plutôt que de la photographier. Que disent-ils ? Ils donnent tous la ND devant et presque tous avec un score environ double de Syriza... mais à un niveau historiquement bas, un peu au-dessus de janvier 2015, autour du score réalisé en juin 2012 ou en septembre 2015. L'effondrement de Syriza ne se traduira sans doute pas par un raz-de-marée conservateur, mais en premier lieu par une montée de l'abstention.

L'autre indication c'est la disparition du Parlement du parti leurre créé par Berlin et Bruxelles, le Potami (Macronerie grecque avec quelques années d'avance), de l'Union des centres, dont j'ai eu l'occasion d'écrire ici que son relatif succès de septembre 2015 était en partie dû à un vote de dérision, et des Grecs indépendants, scission prétendument souverainiste de la ND devenue partenaire de coalition de Syriza - sans objet puisque tout son discours souverainiste a été démenti par la politique du gouvernement auquel elle permet de survivre.

Les néonazis d'Aube dorée et les communistes orthodoxes du KKE semblent en position de tirer une partie des marrons du feu mais en restant sensiblement sous les 10 % chacun. Enfin le PASOK et ses alliés semblent solides sur leur socle réduit, autour de 6 %, voir légèrement en hausse.

Si les résultats du prochain scrutin s'approchent de cette photographie, la situation politique risque d'être très compliquée. La ND n'aurait probablement pas de majorité absolue à la Vouli, et l'appoint du PASOK, qui serait entre la moitié et les deux tiers de ses voix de juin 2012, risque d'être juste. Dans ces conditions, il faudrait soit revoter comme en 2012, soit négocier une grande coalition avec Syriza... C'est la raison pour laquelle j'ai écrit ici depuis quelque temps que Tsipras cherchait peut-être l'occasion de "tomber à gauche" afin de remobiliser une partie de son électorat et de se trouver en position d'être un partenaire indispensable à un nouveau gouvernement.

Voilà pour la tambouille.

Le deuxième élément, ce sont les impressions que nous avons retirées de notre séjour et de nos contacts, à Nisyros et à Athènes, en décembre-janvier. Et là, c'est la totale démoralisation qui domine. Une dépression collective sans doute au moins aussi profonde qu'après le coup d'Etat euro-allemand qui remplaça le Premier ministre élu Papandréou par le banquier non élu Papadimos. "Ici, tout est mort", a répondu à ma question un ami, ancien secrétaire régional pour le Dodécanèse de Syriza, démissionnaire après la capitulation de l'été 2015, engagé après à Unité populaire - aujourd'hui retiré de toute activité politique. UP n'a pas pris : les gens ne croient plus à rien et pas à ces hommes qui ont participé au gouvernement Syriza jusqu'à la capitulation : ils ont tout couvert, ils savaient ce qui se préparaient, ils n'ont rien dit ni rien fait pour l'empêcher. Ils feraient la même chose - c'est ce que nous avons entendu à propos d'UP.

De plus, UP a été profondément divisée sur l'euro et l'UE, tenant un discours aussi alambiqué et donc aussi inaudible que Mélenchon. Ils semblent enfin sortir des ambiguïtés (je place ci-dessous un résumé du discours prononcé le ouiquende dernier par Lafazanis en Italie), mais c'est sans doute bien tard... surtout si, comme je le pense, la nomenklatura va désormais se rallier à une sortie de l'euro pilotée par l'Allemagne ou les Etats-Unis (voir le papier de Panagiots sur la drachme-dollar) et, bien entendu, avec le maintien de la laisse de la dette.

Quant à Zoé, si j'ai un immense respect pour son action entre janvier et septembre 2015, elle ne représente pas grand-chose. Sur le fond, son discours est le même que celui de Syriza première manière ou Varoufakis : on va créer un rapport de force, réformer l'Europe de l'intérieur, on ne peut pas "leur" abandonner l'UE. Discours qui frise l'absurde dans la situation actuelle et chacun le sent bien. Ce n'est que du Syriza d'avant la capitulation... Sur la forme, elle a certes une image de combattante intraitable dans une partie de l'opinion, mais je ne suis pas certain que ce soit la perception majoritaire (euphémisme). Pour beaucoup - dans une société qui reste machiste -, elle fait d'abord figure de virago - voire de folle.

En tout cas ni UP, ni le parti de Zoé, ni Antarsya, ni l'EPAM (hors KKE, le parti de gauche souverainiste le plus conséquent depuis le plus longtemps !) ne paraissent en mesure, aujourd'hui, d'entrer à la Vouli, seuls, et ils semblent incapables de s'unir pour présenter un front commun.

Dans ces conditions, ce qui domine c'est l'épuisement - il se voyait sur les visages, au coeur de cet hiver particulièrement rude -, et un scepticisme total. Beaucoup pariaient sur des élections avant l'été tout en ajoutant aussitôt qu'elles ne changeraient strictement rien... En réalité, l'Euro-Allemagne a (provisoirement) tué, en Grèce, le Politique, l'idée que que quoi que ce soit puisse changer par les mécanismes de la démocratie.

Que vous dire de plus ? Je voudrais pouvoir ajouter une nuance optimiste. Je suis totalement incapable d'en trouver une !

Ma conviction, depuis un moment déjà, est que tout cela finira mal. Probablement très mal. Mais quand et de quelle manière, je suis bien incapable de le prévoir...

Voici le résumé d'un article paru hier dans I Efimerida:

En Italie, au congrès fondateur de la "Gauche italienne", Lafazanis, le secrétaire d'Unité populaire, affirme la nécessité de sortir immédiatement de l'euro et de rompre avec le néolibéralisme. Il dénonce la pente antidémocratique de l'eurozone et de l'UE face aux menaces de leur désintégration. Il affirme que la gauche européenne doit dire un Non clair et net à l'eurozone et à l'euro et proposer un nouveau projet européen de sécurité fondé sur des pays égaux, démocratiques et souverains. Il prévient que si la gauche européenne ne dit pas un fort non à la prison de l'euro en traçant les perspectives d'une sortie "progressiste", c''est l'extrême droite qui en tirera profit.

Il a précisé que le retour à la monnaie nationale ne constitue pas une fin en soi, mais est indispensable à l'annulation des mémorandums, du néo-colonialisme de la Troïka et de l'austérité, à la mise en oeuvre d'une politique monétaire nationale répondant à des exigences sociales de développement, à la mise sous contrôle public des banques, à l'arrêt des privatisations et la réappropriation par la société de la richesse nationale, à la reconstruction de l'économie et à la transformation productive selon de nouvelles normes économiques viables et innovatrices dans une perspective socialiste.