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dimanche 12 février 2017

"L'Ultime Humiliation" de Rhéa Galanaki

Il est rare que je chronique ici le livre d’une/un « collègue ». Parce que je considère que la critique littéraire est un métier à part entière et que je déplore le mélange des genres qui règne à cet égard dans la presse française, entre écrivains frustrés qui font de la critique pour s’assurer une position de pouvoir qui leur permettra ensuite d’être publiés dans de « grandes maisons » auxquelles ils sont susceptibles de renvoyer l’ascenseur, et écrivains qui pensent avoir le détachement nécessaire pour émettre un avis éclairé sur l’œuvre d’autres écrivains.

Or, à mes yeux, un romancier travaille d’abord à la construction de son univers, à partir de ses admirations et de ses détestations, de ses choix esthétiques et narratifs, de ses obsessions, de sa perception du monde. Il n’est donc pas le mieux placé pour apprécier l’univers et les choix d’autres romanciers qui travaillent à partir de prémisses différentes des siennes – ou opposées aux siennes. Qu’il le veuille ou non, qu’il en soit conscient ou non, et quels que soient les artifices qu’il déploie pour se le dissimuler à lui-même et le dissimuler aux autres, il apprécie toute oeuvre à l’aune de la manière dont il aurait écrit ce livre. Si bien qu’au final, la critique d’un romancier en dit plus long sur lui-même que sur l’œuvre critiquée.

Une fois opérée cette mise au point, pourquoi ai-je donc choisi, malgré tout, de chroniquer ici ''L’Ultime Humiliation'' de Rhéa Galanaki ?

La première raison tient à la pusillanimité de l’édition française en matière de traduction du grec. On nous rebat les oreilles d’une Europe qui n’existe pas, mais on n’est plus capable de maintenir en vie les Europes qui existaient – notamment celle des lettres. Autrefois, dans les grandes maisons, on mettait à disposition du lecteur français Kavafis, Séféris, Élytis, Ritsos, Kazantzaki, Tsirkas, Taktsis, Kavvadias, Vassilikos… et beaucoup d’autres. Ils étaient traduits, édités dans les collections de référence en poche. Aujourd’hui, le règne des commerciaux et des logiques de profit immédiat, dans ces grandes maisons comme ailleurs, réduit de plus en plus à la sphère anglo-saxonne une activité de traduction de moins en moins ouverte sur le monde. Et sur la Grèce. Il faut donc soutenir les petites maisons qui font aujourd’hui le travail – et prennent les risques – que les grandes ne font – et ne prennent – plus. C’est la première des raisons pour lesquelles il m’a semblé utile de saluer la parution, aux éditions Galaade, à l’automne 2016, d’un roman grec contemporain qui parle de la Grèce contemporaine.

La seconde raison c’est justement qu’il parle de la Grèce contemporaine – il est même, à ma connaissance, le premier roman traduit en français né de ce qu’il est convenu d’appeler, bien à tort, la « crise grecque ». Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’en littérature seule la forme compte. Avec l’obsession nombriliste de l’autofiction, le formalisme desséchant, aride et stérile, fait perdre en même temps le sens de l’universel et le plaisir du récit. Pour moi, la bonne littérature est forcément engagée – non pas enrégimentée comme ce mot l’a signifié à une époque – en ce qu’elle fait entendre le vent du large et la rumeur du monde. Pour moi, le regard du romancier ne peut être neutre et, quand il y prétend, il est généralement vide. Il donne forcément un point de vue sur le monde – ou bien il ne sert à rien – à travers des personnages qui, si ils sont réussis, seront le romancier sans être lui, avec leur logique propre, leur cohérence conquise sur leur démiurge.

La grande qualité du roman de Galanaki, c’est qu’il raconte un moment crucial de l’histoire grecque contemporaine à travers ses trois personnages – Nymphe, l’ex-professeur d’arts plastiques, Tirésia, l’ex-professeur de lettres qui s’imagine des pouvoirs divinatoires. Et Athènes – la Ville-mère. Car Athènes est partout dans ce livre, belle ou laide, antique ou moderne, protectrice ou maléfique. Génitrice et marâtre.

Athènes en feu.

En effet, l’action se situe en février 2012, dans ces jours où, après le coup d’État européen substituant un banquier non élu au Premier ministre vainqueur des élections de 2009, l’Union européenne à direction allemande impose au pays un deuxième mémorandum. Tandis que le Parlement fait mine de discuter ce plan, les Athéniens descendent en masse dans les rues – journée mémorable au terme de laquelle, entre provocateurs de la police et groupes anarchistes qui bénéficient de la complicité d’une partie des Athéniens exaspérés, Athènes s’embrase. Nymphe et Tirésia, ce jour-là, ont elles aussi décidé de manifester. Les deux vieilles femmes n’ont plus qu’une perception déformée de l’extérieur… L’extérieur, la Ville-mère, la maison délabrée d’en face et ses fantômes. Elles vivent, recluses, dans le confortable cocon d’un appartement-foyer. Douce démence sénile, Alzheimer ? Elles se sont choisi les noms avec lesquels elles quitteront ce monde, différents de ceux qu’on leur a attribués à la naissance. Elles sont sous la surveillance distante d’un médecin, « le patriarche », et sous celle rapprochée de Catherine, une parente crétoise de Nymphe. Danaé, l’aide-ménagère ; Balthazar, le chat ; Yasmine, l’immigrée (et son fils, Ismaël) chargée de l’entretien de l’appartement ; Oreste, le fils unique que Nymphe a eu avec son mari, un politicien dont elle est séparée ; Takis, le fils de Catherine, complètent le petit monde qui gravite autour des deux femmes.

Tirésia et Nymphe vivent hors du monde, il leur est devenu lointain – mais elles n’en ont pas fait leur deuil. Tirésia en tout cas dont l’ascendant s’exerce sur Nymphe, plus rêveuse, plus craintive aussi.

Elles n’ont pas fait leur deuil d’un monde dont la rumeur parvient encore jusqu’à elles : elles ont peur que le mémorandum ne les exile de leur cocon, ne les envoie dans un asile. Tirésia ourdit la ruse, Nymphe suit : elles aussi iront crier leur crainte et leur colère dans les rues, en même temps qu’elles trompent la vigilance de Catherine, qu’elles s’émancipent de la tutelle qui les protège, mais qui les entrave aussi.

Vieilles, vulnérables, blotties l’une contre l’autre, elles assistent sur la place Syntagma à la manifestation puis à l’émeute… Elles veulent rentrer. Mais où ?

« C’est alors qu’elles comprirent qu’elles ne se souvenaient pas de leur adresse. Leur appartement avait quitté sa place habituelle : peut-être avait-il voulu les punir de l’avoir oublié pour de bon pendant aussi longtemps. Comme une plume de pigeon, il tourbillonnerait dans l’air et finirait par se prendre dans les filets de l’immense toile d’araignée qu’était l’Athènes moderne. »

Il faut survivre. Sans médicaments, se nourrir, se laver. Leurs vêtements sentent les lacrymos et l’incendie. Elles deviennent ce SDF que Tirésia voyait de la fenêtre de son cocon. Elles sont passées de l’autre côté du miroir de la Ville-mère, du côté de ceux qui n’ont plus le droit de vivre autrement que dans l’instant et le froid. Elles tombent entre les pattes d’un SDF qui prétend les protéger et les exploite en les faisant mendier…

Rhéa Galanaki, bien servie par la subtile traduction de Loïc Marcou, nous conte une dérive dramatique et parfois burlesque, avec des moments de poésie, comme lorsque Nymphe découvre la jungle d’une fresque murale… dans laquelle, cette fois, c’est elle qui entraîne Tirésia. Comme si, soudain, la ville et la réalité s’étaient fondues en un nouveau monde, coloré, chaud, accueillant dont la contemplation ouvre aux deux femmes une porte leur permettant de fuir le présent…

Au fil de son récit (non dépourvu de longueurs, cependant), Galanaki esquisse aussi le portrait d’une culpabilité, celle de la « génération de Polytechnique », cette jeunesse qui se souleva contre la dictature des Colonels, autour de l’École Polytechnique, en novembre 1973. Le mouvement fut brutalement réprimé (une centaine de morts, probablement), mais la dictature ne survécut à son crime que quelques mois. Jeunesse héroïque, espoir d’une Grèce nouvelle qui, quarante ans plus tard, se retrouve dans l’impasse qui provoque l’émeute de février 2012 – rébellion du désespoir, écho d’une révolte porteuse de promesses... trahies. Une impasse qui est aussi un remords.

Si l’on voulait faire une critique à cette Ultime Humiliation, ce serait pour moi celle de laisser les personnages secondaires à l’état d’ébauches. Oreste l’anarchiste, Danaé l’aide-ménagère, l’inexistant ex-mari de Nymphe, le patriarche, Yasmine agressée par les brutes d’Aube dorée… et surtout ce Takis qui s’enrôle chez ces brutes, jusqu’à poignarder sa mère Catherine. Catherine qui, seule, parmi les personnages secondaires, accroche un peu la lumière.

L’opposition Oreste/Takis, par exemple, peut sembler sommaire ; la psychologie de ces deux figures antithétiques est évanescente, et l’on ne comprend guère la cohérence qui les a menés à leurs engagements opposés. Oui, Takis est un salaud, mais il y a de l’intérêt, en littérature, à comprendre un salaud – plus qu’à le désigner comme salaud, en insistant sur le fait qu’il en a bien tous les attributs. Pourquoi Oreste trouve-t-il sa rédemption ? Le lecteur que je suis est un peu resté sur sa faim… mais cela renvoie à l’une de mes réflexions liminaires. Pour moi, les grands romans se distinguent des autres, notamment, par l’épaisseur et la saveur des personnages secondaires comme le Pombal du Quatuor d’Alexandrie de Durrell ou le Clappique de La Condition humaine de Malraux.

Macron, le fol en Christ

Dans le JDD d'aujourd'hui, Macron revendique sa dimension christique...

Un banquier nous est né, un président nous a été donné ! Alléluia, mes soeurs ! Alléluia, mes frères ! Chantons ses louanges et votons pour lui.

Bon, celle-là, il fallait tout de même l'oser. Ce garçon a de la ressource, faute d'avoir des idées (ou alors des très très vieilles, à peine moins que celles du Christ : il faut lire à ce sujet le livre de salut public de Farah Frederic et Thomas Porcher : "Introduction inquiète à la macronéconomie").

Pour le reste, dans un premier temps, je prescris la flagellation... après la douche glacée. Je veux bien m'occuper aussi de la couronne d'épines... après les électrochocs. La camisole de force est également envisageable...

Et sa napoléonitude, il nous la revendique quand ?

Le bouton nucléaire à ce zozo (restons poli) ? Vraiment ?!