25 mars, les Grecs se soulèvent contre la domination ottomane... et leurs "élites" qui s'en étaient faites le relai.

Ce soulèvement a eu bien des précurseurs et, je tente, dans La Grèce et les Balkans, d'en dégager les logiques de long terme.

Le roman national grec en a retenu deux. On les voit, sur cette litho très populaire, dont il existe de multiples versions, en train d'aider la figure allégorique de la Grèce à se relever.

A gauche, on voit Adamantios Koraïs, intellectuel exilé dans la France révolutionnaire, donna une édition des antiques dans la langue grecque moderne, en tentant une synthèse entre la langue du peuple et la langue savante, dite pure, des élites. Il appela les Français à aider les Grecs à se libérer et, répondant à la condamnation de la Révolution par l'Eglise orthodoxe, il publia notamment des Instructions fraternelles, datées de l’an I de la liberté, dans lesquelles il stigmatisait « l’oppression intérieure » des Grecs par « les notables et le haut clergé », qui pérennisait la tyrannie turque.

A droite, il s'agit de Rhigas Velestinlis, traducteur en grec de nombre des auteurs des Lumières, constitua une société secrète destinée à préparer une insurrection des Balkans, dont les membres appartenaient à toutes les nationalités. Il traduisit La Marseillaise, composa des paroles grecques pour La Carmagnole. Il élabora aussi un projet de République hellénique étendue à toutes les nationalités des Balkans qui y disposeraient de droits égaux, où seraient reconnus le droit de résistance à l’oppression et des droits économiques et sociaux fort concrets comme l’éducation des filles, un « crédit » accordé par l’État aux inactifs, l’interdiction pour les patrons d’insulter ou de frapper leurs employés, etc., et qui serait fondée sur l'exercice de la souveraineté à travers un suffrage universel exercé par les "hommes et femmes, nationaux et non nationaux".

Rhigas, mourut étranglé le 24 juin 1798, avec sept de ses compagnons, sur ordre du sultan, dans la forteresse de Belgrade, après avoir été livré aux Turcs par les Autrichiens.

L'Autriche qui, quelques années plus tard, après la victoire sur la France de Napoléon, sera l'organisatrice et le coeur de l'Union européenne de l'époque, qui se nomme alors la Sainte Alliance. Si bien que, lorsque le peuple grec se soulève, en 1821, et qu'il il se tourne vers l'Europe occidentale pour obtenir une aide, au nom de la solidarité entre chrétiens, le chancelier autrichien Metternich, chef de cette Union européenne, auquel obéit servilement par la France des Bourbons restaurés, écrit à son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, le 28 janvier 1822 :

« Quelle que soit la différence entre ses causes anciennes et permanentes, et celle des révolutions que la grande alliance a été appelée à combattre dans le cours salutaire de son existence,le soulèvement des Grecs n’en a pas moins puisé son origine directe dans les menées de la faction désorganisatrice qui menace tous les trônes et toutes les institutions ».

En conséquence, précisera-t-il, l’insurrection des Grecs se trouve « hors de la civilisation ; que cela se passe là-bas ou à Saint-Domingue, c’est la même chose ».

Aussi convient-il de laisser le sultan rétablir l’ordre chez lui : « Il y a, en Grèce, trois cent mille têtes à couper », dira-t-il avant d’écrire que, de toute façon « par delà nos frontières orientales, trois ou quatre cent mille individus pendus, égorgés, empalés, cela ne compte guère ! »

Aux congrès de la Sainte Alliance - le Conseil européen de l'époque - à Laybach (Ljubjana, 1821) puis Vérone (1822), les Grecs se feront donc éconduire sans ménagement.

Mais depuis, les choses ont bien entendu radicalement changé... n'est-ce pas ?!

Cette célébration du 25 mars avait pris, l'an dernier, une allure de libération. Depuis le 28 octobre 2011 (2e fête nationale commémorant le Non à Mussolini), qui avait vu une véritable révolte populaire (président de la République exfiltré en urgence de sa tribune, jeunes des écoles et universités, qui défilent ce jour-là, comme le 25 mars, drapeau en tête, tournant la tête à l'opposé des officiels et leur adressant des mains aux doigts écartés, moutza, en signe de malédiction et d'insulte), les célébrations "nationales" étaient étroitement encadrées, réservées à un public choisi dont on était sûr, à l'abri de barrières et de policiers bouclant les périmètres "sensibles".

Du coup, pour le 25 mars 2015, le gouvernement Syriza-Grecs indépendants avait-il communiqué largement sur le fait que la fête nationale redevenait celle du peuple, un peuple confiant dans son gouvernement, un gouvernement qui, de nouveau, défendait, sans concession, les intérêts du peuple et de la nation.

Patatra.

Ce premier 25 mars d'après la capitulation Tsipras/Kamménos se déroule dans un climat de défiance généralisé du peuple pour les élites qui l'ont trahi, de discrédit du politique, de paupérisation qui s'accélère sous l'effet du mémorandum Tsipras, de submersion de pays par le mouvement migratoire organisé par Erdogan et sponsorisé par l'UE sous la schlag de Merkel... qui a conduit Tsipras et Kamménos jusqu'à entériner l'arrivée de policiers turcs dans certaines îles grecques - en plus des habituelles violations de l'espace aérien et maritime.

Un 25 mars amer... dont deux dessins de presse, me semble-t-il, donne parfaitement le ton.

Le premier est de Panos Maragos, qui publie dans Ethnos, La Nation, de centre-droit. On y voit un des héros de la guerre d'indépendance, Kolokotronis s'adresser à un petit Tsipras qui tient une pancarte affichant le slogan des combattants de 1821 : La liberté ou la mort.

Kolokotronis : Mais pourquoi tu dois différer le soulèvement ?

Tsipras : Le Quartet revient après Pâques pour l'évaluation de nos propositions !

Le second et le troisième (parus dans le quotidien Avghi, L'Aube, quasi-organe de Syriza) sont de tanos Anastasiou.

Dans le deuxième, on voit un Grec passant une porte. Sur le panneau : Laybach - Congrès de la Sainte-Alliance.

La voix venant du Congrès : Nein soulèvement ! Liberté verboten !

La voix venant de l'extérieur : Basta Metternich !

Aucun rapport avec Schäuble bien sûr !

A Missolonghi, en 1826, les insurgés grecs soulevés sont assiégés depuis des mois. plutôt que de mourir de faim, ils décident finalement de tenter une sortie. Le quart des assiégés s'en sortira, les autres périront soit pendant les combats (ils ont peut-être été trahis par des Albanais combattant dans les rangs de l'insurrection) ; une des trois colonnes fera demi-tour, les défenseurs préférant se faire sauter dans la poudrière, avec femmes et enfants, et tuer les assaillants avec eux plutôt que de se rendre.

Une sortie serait un suicide ! Il vaut mieux de rester et de mourir de faim.

Aucun rapport avec l'euro bien sûr !