Depuis plusieurs jours je savais que je mettrais mon FB et mon blog en deuil avec des Soulages, j'y avais pensé... quel nom en ces heures que nous traversons, mon neveu, ma soeur, mon papa et moi - sans oublier mon Frédéric, qui est à mes côtés. Hier soir, en rentrant de l'hôpital, j'ai mis cette page et ce blog en deuil, en deuil avec ce noir qui produit de la lumière et cette plaie verticale...

Hier soir, je ne pouvais rien écrire.

Je me réveille en pleurant. Je n'ai jamais été aussi malheureux de ma vie.

Samedi, il y a eu quatre semaines que nous sommes rentrés d'Athènes, Frédéric et moi. Maman devait voir, le 6 janvier, un chirurgien pour une banale opération de la vésicule qui lui avait provoqué une douloureuse crise de calculs avant Noël... Mais à Noël, elle était bien. Fatiguée de vivre comme elle me le disait depuis plusieurs années, mais bien. Le 5 janvier, elle était partie aux urgences, on l'avait gardée pour des examens complémentaires, rien d'alarmant m'avait dit ma soeur à qui j'avais demandé si elle pensait nécessaire que je rentre. Mais le 17 à l'hôpital, je l'avais trouvée mal, son état se dégradait depuis quelques jours et, le 18, les médecins m'ont donné le diagnostic, maman avait prescrit qu'on ne le donne qu'à moi.

Un crabe la rongeait de l'intérieur, et dont on ne savait ni où ni quand il avait commencé sa mortelle besogne, le cancer était trop avancé, elle était trop âgée et trop faible pour supporter un traitement. La vie a basculé.

Pas d'acharnement, surtout ! Nous en avions parlé souvent "Si ça m'arrive..." Et que surtout elle ne souffre pas : mon obsession depuis un mois. Depuis un mois, notre vie, celle de ma soeur, de mon neveu Alexandre - qui a été le meilleur petit-fils du monde pour la meilleure manou du monde -, mon papa - 64 ans de vie commune -, et moi, son fils, son fils à elle qui m'a fait - tant - ce que je suis (elle a toujours été si tendre, aimante, exigeante, nous a donné le goût du voyage, de la Méditerranée, du Sud, de la curiosité, du savoir, s'est battue pour que nous fassions des études, elle qui avait le brevet et venait d'une famille de sabotiers et de Creusotins, ouvriers de la mine ou de Schneider...) nous n'avions plus qu'à l'accompagner sur ce bout de chemin douloureux qui lui restait à parcourir.

Grâce à Frédéric qui m'a libéré du salariat il y a quinze ans, j'ai pu tout mettre entre parenthèses : tout mon temps, toute mon énergie ont été pour elle durant ces quatre semaines pleines, à chercher quelles petites choses pourraient encore lui faire plaisir. Des heures si longues et si courtes où nous avons parfois parlé beaucoup de tout, de nous, d'elle, de sa jeunesse, de nos "accidents de parcours", où nous sommes souvent restés ensemble en silence. La main dans la main. Je l'ai beaucoup embrassée, touchée, massée avec une crème (grecque, bien sûr !) au jasmin, dont elle adorait le parfum qui déclenchait des images de bonheur, celles du seul voyage que mes parents ont fait à Nisyros, lorsque j'habitais là-bas, à l'été 1999... Ses chocolats préférés, ses thés préférés.

Elle n'a pas souffert physiquement, ou seulement à des moments très brefs - et c'est aujourd'hui notre réconfort. L'équipe de soins de l'Hôpital Saint-Joseph, puis de la maison de soins Sainte-Marie a été impeccable, gentille, compétente, attentive. Mais elle a souffert psychologiquement, ce que je ne pardonnerai jamais à ces politicaillons qui prétendent à nous gouverner et qui, tremblant de trouille, n'osent pas reconnaître aux Français le droit au suicide assisté dont jouissent Néerlandais, Belges ou Suisses. Mon premier acte, une fois passés les jours que nous allons vivre, sera d'adhérer à l'Association pour le Droit à mourir dans la dignité.

Dès qu'elle a connu le diagnostic, maman a réclamé une "pilule pour partir vite", et elle a réitéré périodiquement cette demande. Elle ne souffrait pas physiquement mais elle ne voulait pas vivre ce qu'on lui a imposé de vivre. Elle m'a parlé de la mère de Jospin et, les derniers jours, où elle ne parlait plus que par courts mots ou groupes de mots, elle a multiplié les : "trop long", "assez", "pourquoi c'est si long de partir?", "marre", "pas demain, demain fini"...

Il y a un peu plus d'une semaine, elle a successivement refusé les traitements préventifs d'un accident cardiaque, puis de s'alimenter et même la toilette. Elle n'en pouvait plus, elle ne voulait plus... Depuis deux jours, elle ne voulait même plus que je la masse avec la crème au jasmin...

Maman est partie au paradis des mamans hier à 17h00, quatre semaines pile après ma première visite à l'hôpital, un mois pile avant mon anniversaire... Depuis 24H00 je ne la quittais plus, j'ai veillé sur elle la nuit de samedi à dimanche, mon angoisse était qu'elle soit seule à l'instant du passage. Hier à 15h00 ma soeur et mon neveu sont venus prendre le relais, je suis rentré prendre une douche, essayer de dormir, mais à 16h00 Brigitte m'a téléphoné que ça risquait d'aller vite. Mon père, ma soeur, mon neveu et moi étions là, autour de maman, quand elle est partie. Pendant une heure je l'ai tenue par la main et l'épaule, couvert de baisers en lui disant tous les mots doux du monde à l'oreille. Ses yeux étaient grand ouverts, alors qu'elle les avait fermés presque tout le temps depuis plusieurs jours. Ils fixaient le plafond, mais pendant 5 minutes au moins il sont restés fixés dans les miens. Ses inspirations devenaient de plus en plus courtes et éloignées l'une de l'autre. Puis la suivante n'est jamais venue.

Elle a enfin pu partir. Elle ne se ressemblait déjà plus, lorsque nous nous sommes arrachés à l'enveloppe qui restait derrière elle.

Elle est délivrée mais elle nous laisse un désarroi, un chagrin immenses, indicibles, abyssaux a écrit ma soeur hier.

Je me suis réveillé en pleurant ce matin et les larmes brouillent ma vue en écrivant ce texte.

Le deuil et les rites commencent.

Elle a été la meilleure maman du monde et je n'ai jamais été aussi malheureux de ma vie.

PS : Maman, j'espère que je n'ai pas fait trop de fautes d'orthographe, toi que j'ai si longtemps désespérée par mes sales notes en dictée. Comme je te l'ai dit hier soir, alors que tu étais déjà partie, peu ou proue, tout ce que j'ai fait dans ma vie, c'était pour que tu aies des raisons d'être un peu fière de moi.

PPS : ta chanson préférée, je ne cesse de la fredonner depuis hier 17h00...