Or donc ; quant aux élections, je voudrais dire ici quelques choses simples.

1) Tsipras a fait le pari de se faire confirmer à la tête d’un gouvernement appuyé sur une majorité épurée de sa gauche, afin d’appliquer la désastreuse politique euro-allemande que cette gauche refusait de cautionner. Il a parié que sa résistance, durant cinq mois, lui donnerait une popularité suffisante pour se faire reconduire avant que les désastreux effets de cette désastreuse politique ne ravagent un peu plus une économie effondrée et une société violentée par cinq ans de purges et de saignées pratiquées par les Purgons germano-européens. Il a gagné ce pari. Les Purgons auraient préféré qu’ils le perdent et que reviennent à Bruxelles les « visages connus » que Juncker désirait tant y revoir, mais il tiennent Tsipras à la gorge et vont donc pouvoir continuer à saigner et purger tout en profitant des bonnes occasions offertes par le pillage du patrimoine national dénommé privatisations. C’est l’essentiel pour eux.

2) Cette victoire ne change rien au fond. C’est une victoire pour rien. La politique des Purgons germano-européens va aggraver la déflation, les faillites vont se multiplier, le chômage va continuer à augmenter. L’activité se ralentissant, les recettes fiscales vont baisser et, dans six mois ou un an, les Purgons germano-européens exigeront de nouvelles purges et saignées, qu’ils obtiendront puisque le gouvernement Tsipras I a consenti, dans le Memorandum III, à un hallucinant mécanisme automatique de coupe dans les dépenses en cas de « dérapage » budgétaire. La déflation est une spirale mortelle qui s’autoalimente ; elle va inexorablement emporter la Grèce, son économie et sa société vers le chaos.

3) Le gouvernement a, dans la nouvelle assemblée, quatre voix de plus que la majorité. C’est bien peu au regard de l’aggravation prévisible de la situation. Comme après le vote des trois premiers mémorandums, cette majorité s’érodera sans doute dès que la situation s’aggravera et que les Purgons obtiendront purge et saignée supplémentaires. Sans doute, pas plus que les Voulis élues en 2007, 2009, mai 2012, juin 2012, janvier 2015, la Vouli de septembre n’ira au terme de son mandat. La victoire du 20 septembre est une victoire à la Pyrrhus. Pas du fait de Tsipras, mais parce qu’on ne peut pas gouverner en ayant abandonné aux Purgons germano-européens les leviers de commande.

4) Le nouveau pari de Tsipras est de réformer le pays tout en acceptant les contraintes des Purgons germano-européens. Ce pari est, à mes yeux, ingagnable. D’abord parce que les réformes dont la Grèce a besoin seraient celles qui donneraient enfin aux Grecs le sentiment que cet État est le leur, et qu’il leur rend les services auxquels leur impôt leur donne droit. Or, l’État grec est aujourd’hui aux mains des Purgons germano-européens dont le gouvernement grec, qui a si souvent été un simple instrument dans les mains de puissances étrangères depuis l’indépendance en 1830, ne sera, sur l’essentiel, qu’une courroie de transmission ; il n’aura de prise que sur l’accessoire. La défiance vis-à-vis de cet État continuera donc à affaiblir le consentement fiscal. D’autre part, les réformes dont la Grèce a besoin nécessitent des moyens : professionnalisation des fonctionnaires, augmentation de leurs salaires afin qu’ils puissent en vivre décemment (condition d’une lutte efficace contre la « petite corruption » des enveloppes qu’il faut remettre au fonctionnaire pour obtenir en réalité le service qui est en principe dû à l’administré ; condition, également, de l’amélioration de la productivité, beaucoup de fonctionnaires étant obligés d’occuper un deuxième emploi pour faire vivre leur famille en raison du faible niveau des salaires, de surcroît amputés de 40 % depuis cinq ans), équipement des services publics des matériels nécessaires à leur efficacité, restauration du service de santé détruit depuis cinq ans par les Purgons germano-européens, profonde réforme de l’Éducation nationale qui nécessite elle aussi d’importants investissements et qui conditionne l’avenir du pays, investissements publics (les détenteurs de capitaux grecs ont toujours été plus orientés vers les activités d’intermédiaire avec l’étranger que vers la production) pour le développement de filières valorisant produits et savoir-faire locaux (les excellentes huiles d’olive sont, par exemple, en grande partie achetées par des marques italiennes, qui les utilisent en assemblage, bien moins cher qu’elles ne seraient vendues si des filières propres de commercialisation existaient). L’économie grecque ne manque pas d’atouts (océanographie, biologie cellulaire, chimie, télécommunications, recherche biomédicale, cosmétiques bio, pharmacie, aluminium, industries extractives…) ; elle peut en acquérir d’autres grâce à la qualité internationalement reconnue de certaines de ses universités, en développant les autres, plutôt qu’en détruisant l’enseignement supérieur comme on l’a fait depuis cinq ans sous la tutelle bornée à des logiques financières de court terme des Purgons germano-européens. C’est la raison pour laquelle j’ai signé la pétition dont Gabriel Colettis a pris l’initiative.

Car ces réformes exigent des investissements, pas des « économies » ; elles ne sont pas compatibles avec le cadre austéritaire consubstantiel à l’euro. Dans le cadre du mémorandum III, aucun investissement n’est possible et les impôts des Grecs iront essentiellement au service de la dette. En choisissant de rester à tout prix dans l’euro, Tsipras se condamne donc à l’échec ; la sortie serait bien sûr un risque, celui d’une période de transition difficile, elle est plus que jamais la condition, nécessaire, même si elle est loin d’être suffisante, d’un rebond de l’économie du pays parce qu’elle est la condition à remplir pour changer de politique économique.

5) Ces réformes consisteraient également à s’attaquer à l’étroite oligarchie politico-financière qui a bénéficié de la « grande corruption » liée aux marchés d’armement ou de travaux publics, à l’installation de grandes surfaces commerciales, etc. (sans oublier que cette corruption a surtout bénéficié aux sociétés corruptrices, la plupart du temps occidentales, souvent allemandes, et que c’est le contribuable grec qui en a payé et en paye le coût exorbitant), qui contrôle les médias (et trafique les sondages, comme on l’a vu pour la troisième fois en un an ces dernières semaines, afin de tenter d’orienter le vote), pratique l’évasion fiscale (avec le concours actif d’États comme le Luxembourg qui, sous la houlette de Juncker, a fait de cette activité une juteuse industrie)… Or, depuis cinq ans, les Purgons germano-européens si durs avec les faibles, n’ont jamais réclamé la moindre réforme visant les privilèges de cette oligarchie-là. Au contraire : ainsi les Purgons germano-européens se sont-ils récemment opposés à ce que le gouvernement Tsipras I taxe « trop » les plus hauts revenus.

Il est donc totalement illusoire de penser qu’un gouvernement Tsipras II, tenu à la gorge d’une poigne de fer, puisse s’attaquer autrement que symboliquement à cette oligarchie. Au demeurant, la situation parlementaire du gouvernement est si précaire (4 sièges… l’oligarchie en a acheté davantage dans le passé !) et sa légitimité si faible qu’il n’aura sans doute pas la latitude – en eût-il la volonté –, d’ouvrir un front intérieur contre cette oligarchie qui ne resterait pas inerte, alors qu’il lui faudra gérer la détresse, le désespoir et peut-être bien la colère de ceux que la politique des Purgons germano-européens va appauvrir, précariser ou tuer en plus grand nombre.

6) Car au-delà des pourcentages, la légitimité de ce nouveau gouvernement est très faible. En effet, l’abstention n’a jamais été aussi forte. Souvent supérieure à 75 %, frôlant parfois les 80 %, la participation aux élections législatives, depuis la chute de la dictature en 1974, a toujours été, à une exception près, supérieure à 62 %. En janvier dernier, elle était de 63,87 %. Le 20 septembre, elle s’est établie à 56,6%, soit une chute de 7,27 % – un peu au-dessus des 55,76 % du scrutin de 2007 où le duel entre le très contesté sortant Karamanlis (« le neveu de ») et son très peu populaire compétiteur Papandréou (« le fils et petit-fils de ») avait déjà provoqué un rejet de l’électorat. L’assemblée élue alors n’avait tenu que deux ans.

En chiffres bruts, ce sont près de 4,3 millions de Grecs qui ne se sont pas rendus aux urnes et près de 135000 qui ont voté blanc ou nul : sur un corps électoral de 9,8 millions, plus de 4,4 millions de Grecs n’ont donc pas émis de vote positif, et près de 655000 électeurs de janvier (entre 10 % et 11 % de ceux-ci) se sont abstenus en septembre.

7) Syriza perd à lui seul, d’un scrutin à l’autre, 320100 électeurs, soit plus de 14 % de son électorat de janvier. Alors que l’Unité populaire (les dissidents de Syriza qui, derrière Lafazanis, Zoé Konstantopoulou, Lapavitsas refusent le Mémorandum III et assument une sortie de l’euro) en rassemble plus de 155000, que l’EPAM (gauche anti-euro qui n’avait pas présenté de candidats en janvier) obtient près de 42000 suffrages, et que la Coalition anticapitaliste (et anti-euro) Antarsya passe de 39500 à 46000. On peut donc estimer que sur les 320000 électeurs de Syriza perdus de janvier à septembre, plus de 200000 ont choisi d’autres partis de gauche anti-euro quand environ 120000 sont partis vers l’abstention.

8) Si Unité populaire et l’EPAM avaient fait alliance, ils seraient aujourd’hui représentés à la Vouli, le total de leurs voix représentant 3,63 % ; une alliance avec Antarsya aurait porté ce score a 4,48%, plaçant cette coalition devant Potami.

9) Pour la Nouvelle Démocratie, « l’effet Meïmarakis » accrédité par les sondages du système a été démenti dans les urnes : passant de 27,81 % à 28,10 %, la ND perd en réalité plus de 192000 de ses électeurs de janvier (soit un peu plus de 11%) : il fait donc à peine mieux que Syriza et son électorat ne s’est pas surmobilisé dans la perspective d’une victoire donnée possible par les sondages. En outre, ce score médiocre montre avant tout le refus des Grecs de revenir vers les partis de l’ancien système jugés, à raison, responsables de la situation du pays.

10) Aube dorée confirme sa troisième place dans le jeu politique et réalise, en pourcentage, son meilleur score (6,99 %) depuis son entrée à la Vouli (6,97 %) en mai 2012. Elle ne perd qu’un peu moins de 2% de ses électeurs de janvier, montrant ainsi qu’elle a un électorat fidèle et parmi les plus mobilisé. Mais, contrairement à ce qu’indiquaient les sondages sortie d’urnes le soir des élections, elle ne réalise pas de véritable poussée.

11) Le PASOK ne remporte qu’une (relative) victoire en trompe-l’œil. Son score passe certes de 4,68 % à 6,28 %…mais il se présentait, cette fois, en coalition avec la Gauche démocratique (DIMAR), alors que cette dissidence de droite de Syriza, qui avait participé un temps au gouvernement ND-PASOK Samaras-Vénizélos, avait recueilli en janvier 0,48 % des voix. Surtout, Andréas Papandréou avait présenté, à ce même scrutin, des candidats sous l’étiquette des socialistes démocrates qui avaient recueilli 2,47 % des voix. Or Papandréou n’a pu ou voulu réitérer l’expérience en septembre. Une partie de ses électeurs sont donc naturellement retournés au bercail du PASOK. Mais le total PASOK-DIMAR-papandréistes de janvier – 7,58 % – est notablement supérieur au 6,28 % de l’alliance PASOK-DIMAR en septembre ! En réalité, 28 % des électeurs de la mouvance tripartite de janvier manquent à l’appel du PASOK-DIMAR en septembre. Le naufrage du PASOK continue donc bel et bien : on voit, là encore, se confirmer le refus des Grecs d’accorder de nouveau leur confiance aux partis qui ont dominé la vie politique grecque de 1974 à 2012.

12) Pas plus qu’Aube dorée, le vieux parti communiste orthodoxe, hostile à l’euro, favorable à une sortie de l’UE et de l’OTAN, refusant toute alliance et qui a passé une bonne partie de la campagne à attaquer durement… Unité populaire, n’a tiré profit de la situation. Au contraire de ce que laissaient prévoir les sondages sortie d’urnes. Passé de 5,47 % à 5,55 % de janvier à septembre, il perd un peu plus de 10 % de ses électeurs de janvier et ne mobilise donc pas plus son propre électorat que la moyenne.

13) Franchement réjouissante est la claque que les électeurs ont donné à Potami, grand perdant de ce scrutin. Création conjointe de Bruxelles et de l’oligarchie grecque, ce parti fantoche construit autour d’un présentateur vedette de la télévision avait été conçu, avant le scrutin de janvier, afin de servir de roue de secours aux deux partis épuisés du système, ND-PASOK. Il s’agissait de faire jeune et européen sexy – vide programmatique, clinquant médiatique et soumission totale à l’ordre germano-européen. Le chef de ce particule à usage unique, comme le papier hygiénique, avait ainsi été reçu par Juncker, en grande pompe, à la Commission, alors que le gouvernement grec était en plein bras de fer avec les Purgons germano-européens. Ahurissant comportement d’un président de la Commission – dont le goût pour les boissons fortes ne saurait à lui seul rendre compte –, prodigieuse violation de son devoir de réserve et de neutralité, effarante ingérence dans les affaires intérieures d’un État membre en pleine négociation aussi dure que vitale. Toujours est-il que cette marque de faveur insigne – et scandaleuse – a valu aux fayots de Potami de passer de 6,05 % à 4,09 %, et de perdre au passage plus de 40 % de leurs électeurs de janvier. Mieux vaut ne pas trop afficher sa soumission à Berlin et Bruxelles si l’on veut faire carrière politique en Grèce.

14) Reste le cas des Grecs indépendants (ANEL), souverainistes de droite, partenaires de gouvernement de Syriza depuis janvier, qui ont voté Non au référendum de juillet puis ratifié la capitulation bruxelloise de Tsipras. Quelle est la raison d’être de souverainistes consentant à un Mémorandum III qui est la négation même de la souveraineté ? De 10,62 % aux législatives de mai 2012 à 7,51 % à celles de juin, les Grecs indépendants étaient tombés à 4,75 % en janvier 2015. Leur maintien au-dessus des 3 % fatidiques donnant droit à une représentation parlementaire était essentiel pour que, si Syriza arrivait en tête, Tsipras n’ait pas à négocier avec le PASOK ou Potami, un accord de majorité qui aurait manifesté un peu trop clairement que son gouvernement sera aux ordres des Purgons germano-européens. Et l’on ne peut nier au chef de l’ANEL, Kaménos, son énergie – même si l’on peut douter de sa cohérence. Prouver à des électeurs de droite venus à lui par refus des Mémorandums I et II qu’il fallait continuer à voter ANEL parce qu’il a accepté le Mémorandum III relevait du tour de force. Il l’a réalisé en arrachant 3,69 % et dix députés qui donnent à Tsipras sa majorité de 155 sur 300… jusqu’à ? Tsipras doit incontestablement une fière chandelle à Kaménos, et même si ce dernier a perdu dans la bataille près du tiers de ses électeurs de janvier, son poids dans la coalition en sera renforcé.

15) Enfin, il faut dire un mot de l’Union des centres, parti fantôme de la politique grecque depuis des décennies, présent à chaque élection et toujours sous le seuil des 3 %. Pour plusieurs générations de Grecs, son leader, Vassilis Leventis, contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre, est d’abord un objet de dérision. Beaucoup se rappellent l’avoir vu pérorer, des heures durant, avant de partir au collège et après en être rentré, sur une chaîne de télévision émettant sans autorisation et à son seul usage personnel, fulminer contre les gouvernants et leurs opposants, ayant une solution pour tout problème… et réciproquement ! Une espèce d’Aguigui Mouna centriste, ou de Coluche qui se prendrait au sérieux… Demandant à un ami d’où sortait ce type et comment on pouvait voter pour lui, l’ami a levé les bras au ciel : « plutôt que de voter blanc ou nul, plutôt que de voter encore pour un candidat qui les trahira, ils ont choisi de se payer la tête du système en votant pour sa caricature, pour un vrai pitre. C’est un vote de dérision. » L’explication vaut ce qu’elle vaut. Leventis est passé de 110923 voix en janvier à 186456 en septembre. Le pitre a neuf députés.

Sous la tutelle des Purgons germano-européens, la démocratie grecque se meurt. Le gouvernement Syriza-ANEL ne dispose que d’une base extrêmement étroite : ses 155 députés n’ont recueilli qu’un peu plus de 20 % des voix des électeurs inscrits. Les Grecs ont refusé de revenir en arrière et de remettre en selle la ND et le PASOK ; ils ont durement châtié les partisans potamiesque de la soumission totale à la Germano-Europe ; ils ont jusqu’ici refusé d’écouter les sirènes de la brutalité aubedoriste – ils ont quelques raisons d’être vacciné contre toutes les formes de fascisme ; ils n’ont pas encore voulu croire qu’on ne peut concilier l’euro et une autre politique.

Unité populaire n’a pas eu le temps de s’organiser, de quadriller le pays, de convaincre qu’il y a une alternative à la mort lente dans l’euro. Elle a pris date, Lafazanis et l’admirable Zoé l’ont dit : Unité populaire a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ; ce que Varoufakis qui, finalement, a choisi de soutenir ce camp-là, a dit à sa façon en déclarant que la Grèce avait été battue mais n’était pas soumise. Unité populaire n’a pas eu le temps de construire un front anti-euro avec l’EPAM, Antarsya… Le KKE ; il faudrait un miracle ! Si ce front se constituait, s’il parvenait à convaincre ceux qui se sont réfugiés dans l’abstention qu’il y a un avenir, une alternative, un espoir, il sera, j’en suis sûr, le recours naturel lorsque le Mémorandum III aura poussé le pays un peu plus loin dans la tragédie et que Syriza connaîtra, selon toute vraisemblance, le destin du PASOK.

Paradoxalement, la victoire du 20 septembre est celle de TINA : il n’y avait pas d’alternative, dès lors que les Grecs ne voulaient pas redonner le pouvoir aux partis du vieux système, tandis que Syriza refusait d’envisager la sortie de l’euro et de mener la pédagogie nécessaire pour que les Grecs comprennent que cette sortie conditionne la sortie du cercle vicieux des mémorandums, de la spirale mortelle de la déflation. Dans ces conditions, sans doute fallait-il que les Grecs fassent l’expérience de l’échec du Mémorandum de la « gauche radicale » avant de se résoudre à assumer le risque de la sortie. Mais chaque jour de plus dans l’euro et le régime de coup d’État permanent du Mémorandum affaiblit un plus l’économie, disloque un peu plus la société, fabrique un peu plus de désespoir et rendra la sortie plus difficile. Chaque jour aussi augmente le danger que cet affaiblissement, cette dislocation et ce désespoir ne débouchent sur un chaos d’une autre nature. Que la démocratie n’ait jamais été, nulle part, aboutie, parfaite, est une chose. Que le modèle représentatif soit sans doute en voie d’épuisement me semble une évidence. Qu’il faille réinventer une démocratie plus sociale et participative, je le crois. Mais lorsque près de la moitié du corps électoral manifeste sa défiance pour tous les partis et refuse de participer à une démocratie vidée de tout contenu réel par ce qu’il est convenu d’appeler l’Europe et réduite à un rite électoral destiné à désigner celui qui semble le plus sympa pour mettre en œuvre une politique unique, c’est le principe même de la démocratie qui est en danger.

Hier, après le départ de mes visiteurs sur le bateau de Kardaména, j’ai croisé Giorgos qui tient un petit bazar à Mandraki. Le soir du référendum, lui et sa femme étaient venus s’assoir à la table voisine de la nôtre et j’avais dit au serveur que leurs consommations étaient pour nous ; ensemble, nous avions trinqué à la Grèce. « Il y a si longtemps qu’on n’a pas été aussi heureux », m’avait-il dit. Hier, un sourire amer aux lèvres, il m’a raconté une petite histoire : « Un Allemand, un Anglais et un Grec se rencontrent un vendredi soir. Moi, dit l’Allemand, dimanche je vais faire une promenade en forêt. Moi, dit l’Anglais, j’ai des amis qui viennent à la maison pour un barbecue. Moi, dit le Grec, je fais des élections. »

Ça m’a rappelé ces histoires par lesquelles les Russes et les peuples vassaux de l’URSS combattaient la tyrannie par la dérision. La dérision contre la tyrannie d’une Euro-Germanie qui ressemble chaque jour davantage à l’URSS vers la fin.

Le problème c’est que la fin peut durer longtemps. Trop.