Chers amis,

Je n'ai pas l'âme d'un pétitionnaire... mais après l'attentat perpétré cet été en Grèce contre la démocratie - et contre toute logique économique autre que punitive -, qui prolonge et renouvelle, par un nouveau mémorandum, le coup d'Etat permanent de l'UE en Grèce, j'ai décidé de relayer, ici et ailleurs, l'appel lancé par Gabriel Colettis, professeur à l’Université de Toulouse 1-Capitole, et Ioannis Margaris, docteur en Energie et Technologie de l’Université Technique Nationale d’Athènes (NTUA), Post-Doc (DTU).

J'ai rencontré Gabriel Colettis, qui participa naguère à l'élaboration du programme économique de Syriza, en février dernier, lors d'un débat à Mediapart, et nous avons tout de suite sympathisé. Nous avons échangé aussi ; il prônait alors une solution de bon sens : la conversion de la dette grecque en bons d'investissements qui auraient servi à relancer l'économie de ce pays, ruinée par cinq ans de politiques euro-allemandes désastreuses qui ont vaporisé le droit du travail, massivement paupérisé la société, disloqué l'éducation et la santé publiques... Je lui ai répondu alors que cette solution était effectivement intelligente, mais que, pour qu'elle aboutisse, il faudrait que la partie européenne ait l'intention de négocier vraiment, qu'elle ait un autre objectif que d'humilier la partie grecque et d'obtenir sa capitulation. Or j'avais la conviction, hélas confirmée depuis, que la partie européenne n'avait aucune intention de négocier, que son seul objectif était d'empêcher un gouvernement de gauche dite radicale (en réalité moins de gauche et moins radicale que la démocratie-chrétienne italienne ou le gaullisme des années 1960 !) de montrer qu'une "autre politique" est possible.

Nous ne sommes pas d'accord, Gabriel et moi, sur le fait que cette autre politique soit ou non compatible avec l'euro, nous ne sommes pas d'accord sur le fait de savoir si cette monnaie unique est ou non réformable (pour moi, elle ne l'est pas). Mais nous avons décidé de surmonter cette divergence, et comme il a accepté d'introduire le paragraphe suivant: "La « crise grecque » vient de révéler, pour certains, toutes les limites du fonctionnement actuel de la zone Euro et le carcan austéritaire et autoritaire qu’elle génère. Pour d'autres, elle ne fait que confirmer le caractère destructeur des dysfonctionnements liés à la nature même d'une monnaie unique entre des économies aux contraintes différentes et dont elle accroît les divergences. Que l'on croit à la possibilité d'une réforme de cette zone qui serait enfin favorable au développement, ou à son inévitable et salutaire disparition, si possible ordonnée, le devenir de la Grèce, auquel nous sommes prêts à œuvrer les uns et les autres, Grecs et non-Grecs, est d'une importance cruciale pour tous les Européens.", je peux pleinement m'associer à cet appel.

Si vous aussi, vous êtes d'accord avec ce texte, envoyez-lui par courriel, votre soutien !

Appel : Un avenir pour la Grèce

Préambule

Cet appel aux forces sociales et politiques grecques, à l’opposé des « institutions » qui prétendent dicter à la Grèce et à son gouvernement ce qu’ils doivent faire et comment, est lancé par ses signataires dans le respect absolu des orientations que le peuple grec et ses élus auront décidées.

Citoyens de toutes origines sociales et politiques, Grecs et non-Grecs de différents pays européens, conscients que ce que nous partageons est plus fort que ce qui nous sépare, ensemble, nous déclarons être prêts à mobiliser nos compétences et notre expérience au service de la Grèce. Nous sommes prêts à contribuer à élaborer les méthodes et les outils nécessaires à la définition et à la mise en œuvre du projet de développement dont la Grèce a impérativement besoin.

La démocratie bafouée, l’économie ruinée

Aujourd’hui, le peuple grec se voit refuser le droit de disposer librement de son avenir. Le Parlement est bafoué et le gouvernement sommé d’appliquer un programme auquel il ne croit pas. Selon la déclaration du sommet de la zone Euro du 12 juillet 2015, « Le gouvernement (grec) doit consulter les institutions et doit convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement ».

La mise sous tutelle de la Grèce est, une fois de plus dans l’histoire du pays, clairement consommée.

Le troisième mémorandum, ratifié par le Parlement de ce pays sans possibilité de véritable examen, impose au pays une nouvelle série de mesures d’austérité (hausse de la TVA, diminution des retraites, baisse des dépenses publiques, etc.). Ce, sans même que le maintien du pays dans la zone Euro, payé d’un prix exorbitant, ne soit assuré. D’ici quelques semaines ou au plus quelques mois, une récession aggravée va se produire et les Grecs ne pourront faire autrement que de tenter de survivre en se réfugiant dans l’économie « grise » ou parallèle afin d’échapper à l’accroissement de la pression fiscale dans un contexte de réduction de leurs revenus.

Les créanciers et les institutions (dont le pouvoir normatif est sensiblement renforcé au détriment du Parlement grec) attaqueront alors les autorités grecques pour non-respect de leurs engagements (excédent budgétaire primaire, privatisations) et avanceront alors de nouvelles exigences. Ils menaceront à nouveau et sans répit le gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, de ne pas accorder les sommes prévues si de nouvelles mesures d’austérité ne sont pas prises. L’engrenage sans fin broiera le corps social grec et son économie, obligeant les jeunes du pays (souvent de haute qualification) à choisir un exil dont ils ne veulent pas.

La dette, principal vecteur de servitude, ne pourra que croître. Les nouveaux prêts accordés dans le cadre d’un troisième plan d’ « aide » ne serviront au mieux qu’au seul roulement de la dette, enfonçant la Grèce dans la spirale infernale du surendettement par le jeu des intérêts et de la baisse du PIB. Dans un document daté du 14 juillet, le FMI indique d’ailleurs que l’endettement de l’Etat grec devrait atteindre les 200% dans les deux ans à venir !

En résumé, ce qui est imposé à la Grèce en pure perte pour elle est une perte de souveraineté, le retour de la Troïka et de ses « hommes en noir » à Athènes, une austérité et une récession aggravées.

Le danger, au final, est que le parti d’extrême droite, « Aube Dorée » se présente à plus ou moins brève échéance comme la seule force politique porteuse d’un projet alternatif pour la société grecque. Cette issue désastreuse, si elle devait se produire, serait la conséquence de la poursuite de politiques antisociales. Elu sur une base rompant avec l’austérité ainsi qu’avec les pratiques antidémocratiques et anticonstitutionnelles, force est de constater que, bien malheureusement, l’actuel gouvernement a fait voter un troisième mémorandum assimilant la Grèce à une colonie privée de tout droit à l’autodétermination.

L’avenir de la Grèce s’écrira en Grec !

Nous affirmons qu’aucune institution internationale (BCE, Commission européenne, Eurogroupe, FMI), aucun État ne peut dicter au peuple grec et à son gouvernement la conduite qu’il a à tenir. La souveraineté de la Grèce comme celle de n’importe quel autre Etat n’est pas négociable, ne peut être soumise à condition.

Nous rappelons la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU du 23 avril 1999 selon laquelle « l’exercice des droits fondamentaux de la population des pays débiteurs à l’alimentation, au logement, à l’habillement, à l’emploi, à l’éducation, aux services de santé et à un environnement salubre ne peut être subordonné à l’application de politiques d’ajustement structurel et de réformes économiques liées à la dette ».

Enrayer enfin le déclin, assurer le développement économique et social

L’application du troisième mémorandum entraîne la Grèce sur la pente du déclin et de l’abdication de sa souveraineté. Que la Grèce reste membre de la zone Euro ou en sorte, il est probable que le corps social grec sera soumis à rude épreuve dans les mois et les années qui viennent. La montée des inégalités produira des effets très visibles avec l’accroissement de la grande pauvreté, ce alors que les très riches seront largement épargnés, voire pourront tirer profit de la crise en rachetant des actifs cédés par l’Etat ou les ménages en grande difficulté. Le risque de dislocation peut et doit être conjuré. Promouvoir un développement diversifié des capacités productives et, simultanément, la démocratie constituent le seul moyen d’éviter les dérives délétères de l’économie parallèle, grise ou maffieuse, résultant des choix imposés à la Grèce.

A l’opposé de cette funeste perspective, nous considérons comme indispensable la mise en œuvre d’un projet de développement des capacités productives du pays. Cinq principes nous semblent devoir guider la définition d’un tel projet :

- Recouvrer la souveraineté politique et économique du pays,

- Développer la démocratie dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale,

- Répondre aux besoins fondamentaux du peuple grec, en valorisant le travail et les compétences de tous,

- Protéger la nature et plus généralement tous les biens communs,

- Favoriser le développement des territoires, les économies de proximité.

Sur la base de ces principes, l’enjeu consiste à développer l’industrie et l’agriculture grecques dans leur ensemble en tirant parti des nouvelles technologies : soutien des activités agricoles et agro-alimentaires (agriculture biologique et « raisonnée », etc.), de l’activité de rénovation de logements (utilisation de nouveaux matériaux, etc.), promotion des économies d’énergie (réseaux intelligents, isolation, etc.) et des énergies renouvelables (éoliennes, photovoltaïque, etc.), des industries liées à la santé (biotechnologie, nanotechnologies, etc.) , de la filière textile-habillement (nouveaux matériaux, textiles techniques, etc.), des matériels de transport (petit véhicule propre électrique ou hybride, transports collectifs économes, etc.), , de la construction/réparation navale (nouvelles modalités de propulsion, etc.), etc.

Un modèle de développement pour la Grèce ne peut s’appuyer sur une vision moniste fondée uniquement sur l’initiative privée ou bien seulement sur la propriété publique ou encore exclusivement sur l’économie sociale et solidaire. Le nouveau modèle de développement de la Grèce doit être fondé sur la diversité des formes d’économie combinant les initiatives privées, un secteur public rénové et un tiers-secteur performant.

Ce modèle doit, enfin, être fondé sur la complémentarité organisée de trois orientations :

- La première orientation concerne des actions à mettre en œuvre valorisant de nouvelles formes d’entrepreneuriat ainsi que des formes collectives innovantes d’organisation économiques et sociales : filières, regroupements de petites et moyennes entreprises, projets collaboratifs, etc.,

- La deuxième orientation concerne des actions visant à développer des solidarités économiques et sociales, le plus souvent territoriales. Ce deuxième type d’action se situe dans une perspective d’économie sociale et solidaire : systèmes d’échanges localisés, banques temps, circuits courts, économie circulaire, etc.,

- La troisième orientation, articulant les deux premières, vise à développer des réseaux productifs territorialisés : clusters de différents types associant des entreprises de taille différente à des universités et/ou des établissement d’enseignement technique portant sur des activités dites traditionnelles comme de haute technologie.

C’est en engageant sans tarder le projet d’un nouveau modèle de développement diversifié, basé sur de nouvelles formes de démocratie et d’implication des forces sociales que la Grèce pourra sortir enfin de l'état de double dépendance, politique et économique, dans laquelle elle se situe : dépendance à l’égard des « institutions » et des formes traditionnelles d’exercice du politique, dépendance économique liée à ses importations et aux financements externes.

Notre appel aux forces sociales et politiques grecques

La Grèce a été le berceau de la démocratie. La « crise grecque » vient de révéler, pour certains, toutes les limites du fonctionnement actuel de la zone Euro et le carcan austéritaire et autoritaire qu’elle génère. Pour d'autres, elle ne fait que confirmer le caractère destructeur des dysfonctionnements liés à la nature même d'une monnaie unique entre des économies aux contraintes différentes et dont elle accroît les divergences. Que l'on croit à la possibilité d'une réforme de cette zone qui serait enfin favorable au développement, ou à son inévitable et salutaire disparition, si possible ordonnée, le devenir de la Grèce, auquel nous sommes prêts à œuvrer les uns et les autres, Grecs et non-Grecs, est d'une importance cruciale pour tous les Européens.

Nous croyons que l’espoir suscité par la victoire de Syriza lors des élections de janvier dernier ainsi que par le résultat du référendum de juillet sont le signe d’un immense besoin de changement qui ne s’arrête pas aux frontières de la Grèce. Nous, Grecs comme non-Grecs, sommes prêts à nous investir pour aider les forces sociales et politiques qui souhaitent élaborer un projet de développement viable. Ce projet est indispensable pour la Grèce, qu’elle sorte de la zone Euro ou reste en son sein. Il constitue une première riposte contre une Europe dominée par des marchés financiers qui étouffent la production ainsi que par les forces politiques actuellement au pouvoir en Allemagne et qui poussent ce pays à se comporter de façon hégémonique. Certains responsables politiques allemands auront, en effet, montré le long des négociations avec le gouvernement grec qu’ils n’hésitent pas à se servir de la puissance économique de leur pays afin d’asservir les gouvernements des autres nations (en particulier lorsque ceux-ci prétendent choisir une voie politique qui n’est pas la leur), voire pour remettre en cause les institutions européennes elles-mêmes (la Commission européenne).

Nous appelons les autorités grecques actuelles et futures à ne pas accepter un enfermement de la politique économique et sociale dans une logique financière qui serait dictée par le remboursement de la dette et la réduction des déficits. Espérant être entendus par elles en dépit des concessions qui ont été acceptées, nous appelons les autorités grecques à se mettre désormais au service du mouvement populaire et à organiser de toute urgence des « Etats Généraux du Développement » qui réuniraient les forces sociales du pays afin de tracer la perspective générale et les grands axes du projet de développement dont la Grèce a besoin.

Nous appelons surtout les forces vives du pays à s’investir au plus vite dans l’élaboration de ce projet de développement assurant l’avenir du pays et de sa jeunesse. De nouvelles formes d’organisation politiques et sociales doivent voir le jour ou être dynamisées, permettant de mobiliser des forces sociales qui ne l’ont pas été ces derniers mois. Seul un élan et une mobilisation populaire très larges sont de nature à libérer un potentiel à la fois puissant, créatif et multiforme sans lequel rien n’est possible.

Enfin, nous appelons les forces progressistes grecques à se saisir de l’opportunité des prochaines échéances électorales pour débattre de l’enjeu majeur que constitue un projet de développement articulant démocratie, innovation et production.

__Pour signer l’appel, rendez-vous sur le site : http://unavenirpourlagrece.com Merci de préciser votre fonction ou votre titre ! __ Gabriel Colletis, Professeur à l’Université de Toulouse 1-Capitole Et Ioannis Margaris Docteur en Energie et Technologie de l’Université Technique Nationale d’Athènes (NTUA), Post-Doc (DTU)