Sur son blog, ce soir, Jacques Sapir commente un sondage qui est tout à fait intéressant. Un sondage, bien sûr, ne fait pas le printemps, mais - comme je m'échine à l'écrire et à le répéter -, on ne pourra plus dire que les Grecs refusent - à tout prix - de sortir de l'euro, parce que - comme je m'échine à l'écrire et à le répéter -, l'opinion évolue de manière spectaculaire sur la question depuis cinq mois et plus encore depuis le référendum et le Diktat qui l'a suivi.

En effet, à la question 5 de ce sondage : dans les circonstances présentes préférez-vous rester ou sortir de l’Euro ? 41 % répondent "Rester" ; 36% "Sortir" ; 23 % sont indécis.

Ainsi donc partisans et adversaires de la sortie se retrouvent à 5 % alors que 23 % sont entrain de comprendre qu'il n'y a pas d'autre solution mais ne veulent pas encore admettre que c'est la seule solution. Ceci, comme le fait remarquer Sapir alors que la méthode du sondage, par téléphone, exclut des populations qui, a priori, sont les plus défavorisées et les plus hostiles aux politiques induites par l'euro.

Pour ma part, je pense qu'aujourd'hui les Grecs sont prêts à une sortie de l'euro et les résultats de ce sondage ne m'étonnent absolument pas. Je l'ai dit, écrit et répété, l'axiome : "Les Grecs ne veulent pas sortir de l'euro" n'est fondé sur rien.

La plupart des sondages (celui-là a été réalisé par un institut non grec) en Grèce sont réalisés par des sociétés tenues par la mafia politico-économico-médiatique d'où est issu Potami et qui a fait une campagne hystérique pour le OUI annonçant la sortie de l'euro en cas de victoire du Non. D'ailleurs, la veille du référendum, les sondages donnaient le Oui... en tête alors que le Non a gagné à 61,3%. Les seuls sondages crédibles en Grèce sont ceux qui viennent des universités, notamment celle de Thessalonique qui donne généralement des résultats proches de la réalité : or même les sondages de ces sociétés montrent une montée continue depuis cinq mois des partisans d'une sortie de l'euro. Ce que tendrait à montrer celui-ci c'est seulement une accélération de ce mouvement de fond depuis le référendum.

Et pour moi, ceci recoupe - ô combien ! - ce que j'ai ressenti depuis mai à Thessalonique, à Athènes, à Patras, à Rhodes, à Nisyros, chez les universitaires que j'ai rencontrés ici - et dont la radicalité m'a surpris alors que ce milieu devrait être un des plus eurolâtres - comme chez les Nisyriotes, que je connais depuis 20 ans et qui ont la claire conscience que cette monnaie absurde les étouffe, les désavantage en matière de tourisme par rapport à une Turquie qui ne cesse de dévaluer, empêche tout redémarrage. Je l'ai écrit ici : sur le terrain, avant comme après le référendum, on sent que la sortie de l'euro est dans toutes les têtes alors qu'elle n'était que dans un petit nombre en décembre.

Au demeurant, la campagne de trouille hallucinante menée par les partisans du Oui promettant la sortie de l'euro et l'apocalypse tout de suite après n'a pas dissuadé les Grecs de voter massivement Non (85% chez les 18-24 ans, même les nomes de droite comme la Messénie ou ceux du Nord, même le centre bourgeois d'Athènes !). Il ne faut pas prendre les Grecs pour plus bêtes qu'ils ne sont : la plupart de ceux qui ont voté Non savaient que, en donnant ce mandat de rupture, ils acceptaient la sortie de l'euro. Et toutes mes conversations durant la campagne avec des partisans du oui ou du Non allaient dans ce sens.

Jusqu'à décembre, il est incontestable que la plupart des Grecs souhaitaient une autre politique dans l'euro. Il est aussi incontestable aujourd'hui qu'un nombre chaque jour plus grand de Grecs comprend qu'il n'y a pas d'autre politique possible à l'intérieur de l'euro et sont en faveur d'un changement de politique en se résolvant, bon gré mal gré, à la sortie. La responsabilité politique majeure de Tsipras d'avoir trahi le mandat qu'il avait reçu une semaine plus tôt n'en est que plus écrasante... s'il ne rompt pas à la fin de la saison touristique en annonçant que, décidément, les exigences auxquelles il se trouve confronté sont inacceptables.

Le deuxième enseignement de ce sondage, c'est qu'à presque 58 %, ceux qui ont répondu pensent que le Grexit n'est pas évité, c'est-à-dire que - qu'ils le souhaitent ou non - il peut arriver à tout moment. Alors que 32 % pensent qu'il a été évité et que 10 % seulement ne se prononcent pas.

Et les 58 % ont raison car, quel que soit le résultat des négociations en cours, qu'elles aboutissent à une nouvelle capitulation ou qu'elles échouent, la situation de la Grèce, les effets déflationnistes de ce 3e mémorandum, lorsqu'ils sera entré en vigueur, sur une économie et une société déjà ravagées par cinq ans de déflation rendront de toute façon le maintien de la Grèce dans l'euro intenable. Et Schäuble le sait... si Tsipras ne veut pas le savoir.

Enfin les Grecs ont un jugement clair sur ce qui s'est passé : 83 % pensent que Syriza a abandonné son programme, 76 % que Tsipars a capitulé devant les créanciers. 73 % sont convaincus que la situation économique et sociale ne s'améliorera pas en cas "d'accord" avec les créanciers.

Au total, si Syriza maintient son niveau d'intention de vote (mais le cas de la scission n'est pas envisagé) c'est avant tout parce que les Grecs refusent tout retour au pouvoir de la vieille (ND, PASOK) ou jeune (Potami) Nomenklatura eurolâtre et qu'aucune alternative ne s'est encore dessinée. Mais la situation dans laquelle nous sommes a moins d'un mois ! Les reclassements sont à venir.

Là dessus, voici ce que m'écrit ce soir l'ami Panaghiotis Grigoriou, de l'indispensable blog greekcrisis :

"La capitulation de SYRIZA de Tsipras est une très mauvaise affaire, qui donne certes raison théoriquement au KKE dans la mesure où effectivement il faut se battre pour la mise à mort de l'UE et pas uniquement de celle la zone euro, sauf qu'à mon avis le KKE est inféodé au système étant donné qu'il n'a rien fait pour la mise en place d'un front populaire. Une telle réalité dès 2011-2012 aurait probablement rendu difficile la prise de pouvoir au sein de SYRIZA par certaines personnes, directement téléguidés par le pouvoir troïkan, bruxellois, américain ou berlinois (Dragasakis, Stathakis et bien d'autres qui se découvrent petit à petit à présent - je veux dire cela se voit). Très récemment, un appel de Mikis Theodorakis (voir en parti traduit sur mon blog) a été signé par de nombreux membres de la Plateforme de Gauche SRIZA et par bien d'autres, c'est un appel à la Résistance contre l'Occupation Allemande et mondialiste qui entre dans une nouvelle phase, après la trahison de SYRIZA.

La Plateforme de Gauche SYRIZA (Lafazanis), ainsi que Zoé Konstantopoulou ont très bien réagi, Tsipras prépare alors un Congrès d’Opérette pour inféoder officiellement SYRIZA à la social-démocratie et à la mondialisation : "il faut redéfinir les orientations théoriques et politiques de SYRIZA depuis la nouvelle situation" déclare Dragasakis par exemple, et lorsque mon amie Katerina (Vice-Présidente de Région et CE SYRIZA pour le moment) lui a posé un certain nombre de questions (pourquoi ne pas avoir contrôlé les transferts de capitaux avant ? Pourquoi ne pas avoir mis en place le contrôle des banques ? pourquoi avons-nous payé les créanciers en faisant saigner le pays avant d'arriver à la situation de juin? etc ) directement lors du dernier Comité central SYRIZA il y a qq jours (dans une ambiance délétère), Dragasakis a tout simplement baissé sa tête....

Mon impression comme celle de Katerina et de bien d'autres, est que le "label SYRIZA" est mort, à gauche en tout cas. Je dirais même que le label "gauche" est grillé ! D'après ce que je comprends, les gens de la Plateforme de Gauche (et ils ne seront pas les seuls) ne prendront pas part à la préparation du "Congrès", à leurs yeux, au lieu de changer de cap maintenant (la Plateforme de Gauche demande l’arrêt des négociations), SYRIZA gouvernemental achèvera le crime contre la Grèce, contre la Gauche et contre la Démocratie (même bourgeoise), en signant le mémorandum III vers la fin août et le "Congrès" viendra tout simplement entériner la mutation de SYRIZA !

Alors très probablement, ceux de la Plateforme de Gauche quitteront SYRIZA, en tout cas ceux qui ne sont pas députés, pour les députés, je n'ai pas d'info."