Ce qui fuite dans la presse du plan de réformes grec est instructif. Il s'agit manifestement pour le gouvernement Syriza/Grecs indépendants de s'attaquer à la Nomenklatura grecque, la caste économique et politique dirigeante dont la Troïka s'est bien gardé d'attaquer les exorbitants privilèges, pendant que Juncker organisait l'évasion fiscale vers le Luxembourg.

Il s'agit aussi de parer à la crise humanitaire provoquée par la Troïka : et l'expression "crise humanitaire" semble figurer dans le document grec. Il s'agit donc, d'après ce que je lis et entends, de fournir de l'électricité gratuitement à 300.000 foyers, et de rétablir l'accès gratuit aux soins pour ceux qui n'ont plus de couverture sociale : une paille !!! En tout cas, je ne vois là nul signe de capitulation ou de trahison.

Après avoir obtenu dans un premier temps le renversement du dispositif de la Troïka : les prêteurs n'imposeront plus leurs réformes aux autorités démocratiques et constitutionnelles, mais les autorités démocratiques et constitutionnelles soumettront leurs réformes aux prêteurs - ce qui est une révolution copernicienne fondamentale -, on assiste donc, à mon avis, à la seconde phase de la démarche du nouveau gouvernement : la présentation d'un plan de réformes non néolibérales.

Et dans le même temps, on apprend que serait en préparation à Athènes une séparation complète des banques de dépôt par rapport aux banques d'affaires. Cette mesure fondamentale du New Deal fut essentielle pour empêcher, jusqu'à sa disparition sous Clinton (comme me le signale un lecteur de ce blog que je remercie, et non sous Reagan comme je l'avais écrit), les crises boursières. En effet, en sanctuarisant les banques de dépôt, elle assure la sécurité de l'épargne en interdisant aux banques de spéculer avec l'argent de leurs déposants. Les soi-disant socialistes français l'avaient inscrite dans leur programme, mais là comme ailleurs ils ont trahi en cédant au lobby bancaire ; la loi qu'ils ont adoptée n'est qu'un faux nez, ne sépare et ne sécurise rien. Quant à la BCE, il semble qu'elle soit outrée par l'outrecuidance grecque consistant à mettre la spéculation sous contrôle. On voit là tomber les masques. On voit là la véritable nature des institutions européennes : pas même la soumission, mais le service zélé de la finance reine... et folle que symbolise si bien la lessiveuse à argent sale, le trou noir de la finance luxembourgeois installés au coeur de l'Europe et dont le parrain est devenu président de la Commission après l'avoir été de l'eurogroupe.

Or donc, je répète depuis vendredi que rien n'est joué et que le gouvernement grec est dans une posture destinée à montrer à son opinion que le blocage n'est pas du côté grec mais... Et qu'il faudra donc rompre - c'est-à-dire sortir de l'euro. Je continue à faire le pari que Syriza n'a pas mis la sortie de l'euro dans son programme parce qu'il aurait été battu, que ce gouvernement a néanmoins compris qu'il n'y a pas d'autre politique possible à l'intérieur de l'euro, qu'il est en train de bâtir un consensus national autour d'une autre politique tout en faisant la démonstration, avec ce plan, que cette autre politique n'est pas compatible avec l'euro puisque les "partenaires" de l'euro entendent maintenir en Grèce la même politique, moyennant quelques aménagements cosmétiques. C'est ce que j'appelle "construire la rupture", tout en se donnant le temps de la préparer techniquement.

Plus que jamais, ma conviction, au vu de ce plan, sérieux mais pas néolibéral, à l'opposé de ceux de la Troïka, c'est que le gouvernement grec est engagé dans cette démarche-là, non dans un processus de concessions sans fin, trahison, capitulation, dont il sait bien qu'il lui réserverait le même sort qu'a connu le PASOK et jetterait le pays dans des aventures aux conséquences incalculables.

J'écrivais hier soir sur ma page Facebook : "Le billard qui se joue est à bandes multiples. Wait and see... et notamment, ce soir, la liste des réformes, la réaction des Européens puis le vote des Parlements qui voteront. Je ne suis pas sûr qu'ils voteront tous et, à ce moment-là, le blocage interviendra peut-être bien plus vite qu'on ne l'imagine." Et je doute fort, ce matin, que les Parlements finlandais, allemand, autrichien goûtent le plan de réformes présenté par Athènes...

Entendons-nous bien, cela ne signifie nullement à mes yeux que le débat qui naît dans Syriza, à gauche, soit illégitime ; bien au contraire ! La sortie de l'euro et le défaut partiel sont à mes yeux nécessaires, voire indispensables. Que la "plate-forme de gauche" joue son rôle d'aiguillon, voilà qui est sain ! Qu'elle en appelle à la mobilisation populaire, voilà qui est éminemment utile ! Je n'ai cessé de dire, depuis avant les élections et encore dans l'entretien avec Coralie Delaume paru samedi dernier sur son blog, l'Arène nue, que la politique suivie par le gouvernement dépendra largement des rapports de force internes à Syriza. Et puis enfin, la démocratie n'est pas, ou ne devrait pas se réduire à signer un blanc-seing pour quatre ou cinq ans à une équipe, quelle qu'elle soit, à abdiquer tout esprit critique au nom du réalisme ; elle exige au contraire, aujourd'hui plus que jamais parce que la crise de représentation est plus profonde encore que la crise du capitalisme dérégulé qui l'a fait naître, que les peuples redeviennent, à temps plein, acteurs de leur histoire.

Cela signifie plutôt, comme je le disais aussi à Coralie, que nous sommes dans une dynamique, pas dans une guerre de tranchée, que nous sommes dans un rapport dialectique entre le gouvernement et son "opposition interne". L'enjeu, c'est aujourd'hui que la gauche de Syriza montre au peuple que le gouvernement ne va pas assez loin, que le gouvernement explique au peuple que, s'il ne peut aller plus vite et plus loin, c'est que l'euro et l'UE - l'Allemagne et les pays de sa zone d'influence exclusive, plus les soumis volontaires comme la France - ne représentent pas ou plus des avantages pour la Grèce mais de puissants freins à son redressement. Et que pour se redresser, pour en finir avec ces freins, avec le chantage permanent, avec l'enchaînement à une dette dont les deux tiers sans doute, au moins, sont illégitimes parce qu'ils viennent de la corruption dont les Allemands et les Français ont été les principaux bénéficiaires, de la spéculation que les gouvernements grecs n'ont pu combattre en raison des malfaçons de l'euro et de l'UE et de leur soumission intéressée, achetée par la corruption, à Berlin et Bruxelles, de l'évasion fiscale organisée par des Etats voyous financiers comme le Luxembourg de M. Juncker, de la transformation par l'UE de la dette des banques qui ont pris des risques inconsidérés en dette des contribuables, de l'enrichissement des Etats qui, dans le cadre des mécanismes européens de soi-disant "aide" à la Grèce, se sont enrichis en reprêtant à la Grèce à des taux qui leur faisaient gagner de l'argent..., il faudra, à la fin, sortir - au moins - de l'euro.

Dans ce processus-là, pédagogique, les critiques de la gauche de Syriza sont donc utiles, indispensables, parce qu'elles feront avancer le débat qui, dans une logique démocratique, devrait aboutir à un référendum sur la sortie de cette monnaie unique - stupide et criminelle. Idéalement au moins, car il est probable, à mes yeux, que la sortie à toute chance de se faire autrement. dans l'urgence.