Mais il faudra encore attendre. A l'annonce de l'accord arraché hier soir par la Grèce, sur la reconduction transitoire du plan d'aide, j'ai publié ce post sur ma page Facebook :

"Restons calme ! Ce qui s'est passé ce soir c'est un accord transitoire, sans concessions autres que de forme du gouvernement grec. On savait que Samaras avait accéléré le calendrier des élections pour forcer un probable gouvernement Syriza à capituler devant la nécessité de prolonger l'aide dès le 28 février, c'est-à-dire sitôt son entrée en fonction. Le gouvernement grec a su gérer au mieux cette contrainte de calendrier en obtenant cet accord pont sans concession majeure au terme d'un seul contre tous extrêmement serré. J'aurais préféré le clash dès ce soir. Intellectuellement c'eût été plus satisfaisant. Mais en même temps le répit peut être considéré comme indispensable pour préparer l'opinion grecque à la nécessaire sortie de l'euro, une fois mis en évidence les blocages consubstantiels à la nature de cette monnaie et à l'hégémonie bornée de l'Allemagne, et préparer techniquement , dans les conditions les moins chaotiques possibles, la salutaire sortie de cette monnaie imbécile qu'est l'euro. Pour ma part, je reste confiant."

La désinformation va battre son plein, mais je n'ai pas changé d'avis ce matin, à la lecture des chiens de garde de toute espèce qui annoncent et on peine à cacher leur jouissance face à une prétendue capitulation grecque.

Ce matin, Jacques Sapir tweete : "On va encore bcp discuter. Mais la logique de la troïka est clairement morte". Nous sommes donc une fois encore d'accord. Car l'essentiel, contrairement à ce qu'aboient les chiens de garde ce matin est bien là : la Troïka et les mémorandums sont morts... en trois semaines ! Rien n'est réglé, évidemment, mais c'est essentiel et énorme. Un pas fondamental dans les autres ruptures à construire, dans le consensus national à bâtir autour de la nécessité de ces ruptures.

Donc je répète :

En réalité, ce que je crois c'est qu'il y avait une urgence à parer et tout le monde le savait. Samaras a anticipé l'échéance présidentielle précisément pour que le gouvernement se retrouve confronté à cette urgence. Ce gouvernement n'a pas été élu sur la sortie de l'euro ou le défaut sur la dette. Il a commencé à construire une action de salut public et de consensus bien plus large que sa propre base électorale. Il lui faut les consolider et faire la démonstration, à son opinion, que la rupture est la seule solution. C'est mon analyse et je la maintiens.

Avant de connaître le résultat de la négociation, je disais ceci à Coralie Delaume, dans le long entretien qu'elle a publié ce matin sur son excellent blog, l'Arène nue, et qui contient bien d'autres considérations sur la situation grecque :

" C. D. : Et donc, pour en revenir à la position de Syriza sur l'euro ?

O. D. : Je pense qu’elle se pose de la façon suivante : Syriza ne pouvait pas faire campagne en prônant une sortie de l’euro, comme l’ont fait d’autres petits partis de gauche (Plan B, EPAM, Antarsya). L’opinion reste majoritairement attachée à la monnaie unique, essentiellement par crainte des conséquences d’un retour à la drachme. Dire que la sortie de l’euro s’imposerait, c’était prendre le risque de perdre les élections et donc de la poursuite des mémorandums. Il ne pouvait non plus donner comme horizon un défaut sur la dette. Mais en même temps, Syriza a répété qu’il n’y aurait plus aucun sacrifice pour l’euro et l’on a entendu certains de ses candidats, durant la campagne, dire par exemple que si la BCE, comme elle l’a fait à Chypre, cessait d’approvisionner la Grèce en liquidités, la Banque de Grèce devrait imprimer elle-même des euros… Les arbitrages définitifs sur ces questions ont-ils été rendus ? Je ne le crois pas, et dans une situation aussi mouvante, qui peut assurer que des arbitrages rendus hier seront encore valables au lendemain d’un coup de force des institutions européennes ? Nous sommes dans une dynamique, pas dans une guerre de tranchée. Dès lors la question est celle des convictions. Les membres du gouvernement sont-ils convaincus qu’ils peuvent mener une « autre politique » à l’intérieur de la cage de fer de l’euro et des traités européens ? Et obtenir des partenaires européens les concessions qui leur permettraient de la mener ? Si oui, à mon avis ils se trompent, et s’ils n’ont pas préparé une option de rechange, ils se trouveront dans la situation de devoir capituler. A propos de la situation de Papandréou face à Merkel et Sarkozy en 2009-2010, j’ai écrit dans La Grèce et les Balkans : « en entrant dans la négociation sans alternative à son échec – moratoire sur le paiement des intérêts et le remboursement de la dette, défaut partiel voire sortie de l’euro, afin d’exercer des pressions sur l’Allemagne et la France dont les banques, importantes détentrices de dette grecque, avaient beaucoup à perdre –, le gouvernement PASOK s’est mis d’emblée en position d’accepter même l’inacceptable ». La situation de Syriza est la même aujourd’hui et s’il met ses pas dans ceux du PASOK, il subira le même sort, en ouvrant toute grande la porte aux néonazis d’Aube dorée.

C. D. : Mais le gouvernement Grec sait probablement tout cela. D'abord ils ont dû étudier de près les raisons de l'effondrement du PASOK. Ensuite, Varoufakis, par exemple, a la réputation d'être un économiste assez brillant. Est-il imaginable qu'il n'ait pas compris que l'euro est condamné ?

O. D. : Disons qu'il y a une autre possibilité, c'est que Syriza ait entamé des négociations tout en sachant qu’elles avaient peu de chance d’aboutir. Durant cette période, on mobilise l’opinion (les manifestations de soutien au gouvernement se sont multipliées dans toute la Grèce) sur le thème de la dignité retrouvée, du « salut public », tout en créant les faits accomplis de rupture avec les politiques de la Troïka, comme le vote par le Parlement du premier train de mesures sociales. Durant cette période, on prépare la sortie de l’euro, en s’assurant d’aides extérieures à l’Europe : l’intérêt géostratégique de la Grèce lui donne des cartes à Washington comme à Moscou. Puis on utilise les innombrables bévues de l’UE, la morgue allemande, les pressions et les menaces qui heurtent le patriotisme grec pour dresser, le moment venu, devant l’opinion, le constat que la sortie de l’euro s’impose. L’avenir tranchera, mais le 17 février Varoufakis, écrivait dans le New York Times (Source : blog d’Olivier Berruyer) : « Le problème (... c'est) que nous vivons dans un monde où l’on est entravé par la peur des conséquences. Dans un monde où il n’existe aucune circonstance où nous devons faire ce qui est juste, non pas en tant que stratégie, mais simplement parce que c’est… juste. Nous mettrons un terme, quelles qu’en soient les conséquences, aux accords qui sont mauvais pour la Grèce et pour l’Europe (...) Finis les programmes de « réformes » qui visent les retraités pauvres et les pharmacies familiales tout en laissant intacte la corruption à grande échelle. » Il ne me semble pas que ce soit un discours préparatoire à une capitulation. En somme, si je veux résumer mon sentiment, Merkel ne veut plus de l’euro qui n’a jamais été viable et qui coûterait trop cher à l’Allemagne s’il devait le devenir par les transferts qu’il exige. Mais elle ne veut pas porter la responsabilité de sa disparition et fera tout pour la faire porter aux Grecs. Le gouvernement grec est, à mon avis, tout aussi convaincu que l’euro n’est pas compatible avec la politique qu’il s’est engagé à conduire et que l’Allemagne ne consentira pas aux transferts qui pourraient aboutir à ce que cette monnaie absurde cesse d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres. Mais il ne pouvait le dire avant les élections et il fera tout pour faire porter la responsabilité de la sortie de la Grèce, aux yeux de son opinion, à l’Allemagne et à l’UE."

Je persiste et je signe. L'avenir dira si j'ai raison, ou si les chiens de garde de l'Ordre antidémocratique européen ont raison de pavoiser.