Hors les succès incontestables à Athènes et en Attique, succès mais pas triomphe (24 % pour l'Attique, 1,5% devant le candidat soutenu par le PASOK qui devrait bénéficier en partie des reports de la droite avec laquelle gouvernent les "socialistes"), Syriza stagne ou recule ailleurs par rapport à 2012.

Il faudra voir aux européennes de dimanche (le scrutin national et proportionnel fera davantage apparaître la réalité du rapport de force politique) s'il s'agit seulement de la résistance des féodalités locales appuyées sur le clientélisme ou de l'effet des insuffisances, du flou, des ambiguïtés du discours de Syriza sur l'Europe et l'euro, un discours qui refuse de dire clairement qu'une sortie de l'euro est un préalable à toute autre politique puisqu'il n'y a pas d'autre politique possible à l'intérieur de l'euro. De fait, l'arrivée d'anciens crocodiles du PASOK (le PS grec) tentant de sauver leur chemise et de se refaire une virginité chez Syriza, les déclarations d'Alexis Tsipras en Allemagne ou aux Etats-Unis pouvant sembler donner des assurances à ceux qui écorchent la Grèce depuis cinq ans, ont pu apparaître à plus d'un Grec comme les signes d'une dérive "réaliste" ou "modérantiste".

Nous avions été frappés, en janvier, d'entendre des amis grecs, certains militants de la gauche de Syriza, nous dire leurs doutes sur la stratégie ultime du mouvement : changer vraiment les choses ou exercer le pouvoir à la place des autres sans rien changer au fond. Le refus (comme au Front de gauche en France) de parler clairement de la nécessité d'une sortie de l'euro faisant marqueur. Nous avions senti une désillusion, une crainte, un soupçon que le "réalisme" de Tsipras soit au fond un indice que la tête de Syriza ne rêvait à rien d'autre que de prendre la place du PASOK, et que Syriza ne soit la dernière ruse en date du système...

Le score décevant dans la plupart des régions (Syriza ne sera présent au second tour que dans cinq régions, avec des chances de l'emporter dans deux), sauf en Attique, peut sembler confirmer cette analyse ; d'autant que l'abstention est très forte et que le Parti communiste, KKE (communistes orthodoxes) ainsi que le petit parti anticapitaliste Antarsya, qui sont favorables à la sortie de l'euro, ont fait plutôt de bons scores : le candidat du KKE arrive en tête du premier tour à Patras, la 3e ville du pays. De fait, il semble que des électeurs communistes qui avaient quitté le KKE, sans doute pour donner une chance à Syriza de l'emporter en 2012, alors que la direction communiste refusait toute unité de la gauche, sont rentrés au bercail. Par fidélité au KKE... ou par dépit de Syriza ? Ajoutons, comme le précise l'ami Nikos Graikos, que si le KKE sera soutenu par Syriza là où il est présent au second tour, le KKE s'abstiendra au risque de faire gagner la droite ou les candidats qui, effrayés par l'impopularité des partis de gouvernement, se sont, en nombre, présentés comme "indépendants".

Enfin, un des enseignements de ce scrutin est que la montée des nazillons d'Aube dorée, enfants de la politique Merkel-Barroso-Hollande, se poursuit. Comme le note Stathis Kouvelakis, dans son analyse du scrutin : "A Athènes, Kasidiaris est à 16%, au coude à coude avec le candidat officiel de la Nouvelle Démocratie (conservateurs) pour la troisième place. Il est en tête dans quasiment tous les quartiers les plus populaires, tout en obtenant près de 14% des voix dans le très huppé quartier du centre-ville Kolonaki. Dans la région capitale, Aube Dorée est à 11%, au niveau national à plus de 8%". Aube dorée n'existait pas électoralement avant 2009 et avait fait un peu moins de 7 % au niveau national lors des deux scrutins législatifs successifs de 2012. La poussée reste donc contenue au niveau national - sous réserve de vérification dans le scrutin proportionnel national des européennes dimanche prochain, les scrutins d'hier, par leurs enjeux locaux, n'étant sans doute pas les plus favorables à Aube dorée.

En tout état de cause on voit bien que la violence des politiques Merkel-Barroso-Sarkhollande subies par le peuple grec depuis cinq ans conduit à une désespérance, exaspération et perte de confiance dans la démocratie elle-même (abstention et Aube dorée), à un discrédit grandissant des deux partis conservateur et "socialiste" qui, après avoir alterné au pouvoir depuis 1974, gouvernent ensemble depuis plusieurs années mais ne réunissent plus, à eux deux, 50% des 60% de votants (soit une base inférieure au tiers du corps électoral), sans que Syriza, victime de contradictions internes, d'incertitudes stratégiques et du tabou européen qu'il n'ose pas briser, parvienne (pour l'instant ?) à incarner une alternance crédible.

"La Stratégie du choc, ou la montée du capitalisme du désastre", selon le titre de l'ouvrage de Naomi Klein de 2007, la stratégie du choc imposée à la Grèce par l'Allemagne et ce qu'il est convenu d'appeler "Union européenne" n'a pas fini - hélas ! - de produire ses effets délétères sur la société grecque.