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jeudi 10 avril 2014

Desforges à l'église...

Surprise et trouble d'entendre que les obsèques de Régine Desforges, grande prêtresse du libertinage littéraire à qui tous les libertins dont je suis, sont redevables des combats qu'elle a menés contre la censure, la pudibonderie et l'Ordre moral - sous-produit, hier comme aujourd'hui, du catholicisme et de sa prétention à régir l'Etat, les "bonnes moeurs", l'expression artistique, etc. -, que ces obsèques, donc, ont eu lieu en... l'église Saint-Germain-des-prés !

Régine Desforges était donc une catholique - convaincue ? fervente ? - en plus d'être libertine ? Je trouve qu'aujourd'hui, où l'exigence de cohérence est sans doute plus forte qu'à n'importe quelle époque, faire ce genre de concession post mortem, à une Eglise qui représente le contraire de ce qu'on a défendu dans sa vie, à une Eglise qui aujourd'hui encore mobilise dans la rue, dès qu'elle le peut, les franges les plus réactionnaires, les plus hostiles à la liberté de vivre, par chacun, sa sexualité comme il l'entend, est une regrettable erreur à la fin d'une vie libre. Par foi ? Par inadvertance ? Par conformisme ?

Chacun voit midi à la pendule de son église, de son temple, de sa mosquée ou de sa synagogue bien sûr, mais si l'on ne croit pas, si l'on a passé sa vie, par sa plume, ses paroles et ses actes à combattre une répression de la liberté de l'esprit, du corps et des sens qui, pour l'Eglise catholique et toutes les variétés de culs-bénits, est l'expression du Mal, alors quel est le sens de consentir à ce que ses propres obsèques se fassent dans le cadre de cette Eglise-là ? N'est-ce pas lui rendre les armes sur son lit de mort ? Reconnaître qu'on a eu tort en défendant, tout ce que, au long de sa vie, on a défendu ? Lui donner raison dans sa condamnation de la vie qu'on a choisi de mener et dire aux générations suivantes qu'on s'est repenti de ce choix ?

Je ne comprends tout simplement pas. En ce qui me concerne, lorsque j'ai été confronté, il y a bientôt quinze ans, à une mort que j'ai cru imminente pendant deux ou trois jours, la première chose que j'ai dite à mes proches, c'est : surtout pas de mascarade à l'église, pas de vol de corbeaux au-dessus de mon cadavre. Et je me suis empressé, sitôt sorti de l'hosto, à coucher cette volonté-là sur le papier de mes ultimes désirs.

A lire !

A lire d'urgence le dernier papier de José Manuel Lamarque sur son blog.

Explosion à Athènes

En Grèce, chômage à 26,7 % en janvier au lieu de 27,2 - la belle affaire ! Plus de 55% chez les jeunes - quel succès ! Et cerise sur le gâteau : la Grèce revient sur les marchés, comme aboient en frétillant les chiens de garde médiatiques de l'Europe. Jusque-là, rien que de très normal : il faut bien redonner un peu d'espoir au populo à quelques semaines d'échéances électorales qui risquent d'emporter le gouvernement de collaboration avec la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) qui écorche vif le peuple grec depuis quatre ans.

Et puis c'est l'étonnement : un voiture piégée explose ce matin, à Athènes, devant la Banque de Grèce ! Comment ça ? mais on ne comprend pas, alors que tout va mieux !

Dynamitage du droit social, paupérisation massive des classes moyennes, coupure de d'électricité aux innombrables nouveaux pauvres créés par l'Europe, impossibilité de se chauffer, de se soigner, destruction systématique de l'appareil de santé, de l'instruction publique, fermeture ou privatisation de l'enseignement supérieur, montée en flèche des suicides, mort d'un enfant qu'on ne peut plus opérer du coeur parce qu'on a fermé la moitié des centres de chirurgie cardiaque, mort la semaine dernière d'une mère de famille qui ne pouvait plus acheter des médicaments vitaux pour elle, la faim, le saccage écologique de sites miniers concédés à des multinationales ou le bétonnage des côtes auquel la Grèce avait échappé et que l'Europe rend possible en ordonnant le viol de la Constitution hellénique, le bradage de l'eau et du patrimoine national à des "investisseurs" pillards étrangers, souvent allemands, la réduction de la vie parlementaire à un théâtre d'ombres où l'on somme les soi-disant représentants du peuple d'enregistrer les décisions prises par des technocrates devenus d'obscurs dictateurs, des docteurs Folamour néolibéraux hors de tout contrôle, le viol de la Constitution et de l'Etat de droit organisé de Berlin et de Bruxelles, la perte de crédibilité totale de toute parole politique : voilà ce que la Grèce a vécu depuis quatre ans, pour "sauver l'euro", sous la houlette d'une Europe devenue une organisation criminelle !

Et qu'on ne vienne surtout plus me parler de la réformer ou de la réorienter, cette Europe-là : traité après traité, depuis Maastricht, elle a été conçue pour être précisément ce qu'elle est, servir précisément à quoi elle sert et ne pas pouvoir être réformée. Un carcan, on le brise ou on y crève.

Alors moi, qu'une voiture piégée explose devant la Banque de Grèce, cela ne m'étonne pas le moins du monde. Il y a quatre ans que je dis et que j'écris que tout cela, toute cette politique innommable de Berlin, imposée aux Grecs via l'Europe finira mal, très mal. De retour en Grèce, en décembre 2013, nous avions senti que, en trois mois, le climat s'était considérablement dégradé : le vague espoir que les élections législatives allemandes adoucissent le martyre quotidien s'était évanoui, comme celui qu'avait suscité en 2012 l'élection du sinistre et piteux Hollande. Désormais, ce qui devenait palpable, aussi sensible que l'odeur de bois brûlé enveloppant Athènes à cause de la pauvreté qui multiplie les chauffages de fortune, c'était le désespoir, le sentiment qu'il n'y a pas d'issue. Et Panaghiotis Grigoriou (qui tient l'indispensable blog greekcrisis) nous a dit que la phrase qui hantait désormais les conversations, c'était : "il va falloir que le sang coule".

Alors ce qui m'étonne, moi - et s'il ne s'agit pas d'une provocation téléguidée par la Nomenklatura afin de faire jouer le réflexe de la trouille pour sauver les meubles aux prochaines élections locales et européennes -, ce n'est pas qu'une voiture piégée ait explosé, c'est plutôt qu'il n'y en en ait pas eu avant !

De toute façon, les coupables, les vrais, sont à Berlin, à Bruxelles, à Paris. Ce sont ceux qui ont conçu ou laissé faire la politique criminelle que subit le peuple grec. Sans doute ne seront-ils satisfaits, ces apprentis-sorciers, comme leurs prédécesseurs anglo-américains de la fin des années 1940, que lorsqu'ils auront jeté le peuple grec dans la nouvelle guerre civile qu'ils auront fabriquée de toutes pièces !