Le pouvoir ukrainien était ce qu'il était, corrompu et autoritaire. Aussi corrompu et guère plus autoritaire que les soi-disant démocrates auxquels il a succédé - démocratiquement, car le gouvernement Ianoukovitch est issu d'élections régulières et validées comme telles par "l'Europe". Corrompu et autoritaire comme beaucoup de gouvernements protégés par l'UE dans les Balkans (Monténégro, Kosovo, Ancienne République de Macédoine...), comme celui de Turquie (qui a tué on ne sait combien de manifestants depuis juin et qui liquide chaque jour un peu plus l'Etat de droit, la liberté d'Internet... sans que ni l'UE ni nos vertueux médias ne s'en émeuvent) où est allé se pavaner récemment le sieur Hollande, ou comme, à l'intérieur de l'UE, le gouvernement fascistoïde hongrois, comme les gouvernements bulgare ou roumain...

Cette situation est avant tout le résultat de l'absence d'autre stratégie européenne, depuis la chute des régimes communistes, que la stratégie du choc néolibéral imposée à ces pays qui ne s'en sont pas relevés et qui ne s'en relèveront pas. Au lieu d'un Plan Marshall et d'une stratégie évolutive qui auraient enraciné la démocratie, on a appliqué la doxa FMI-Friedman. Avec, comme partout, un résultat principal : l'enrichissement d'une petite classe maffieuse bénéficiaire des privatisations.

En Russie, cet aveuglement néolibéral euro-américain, la privatisation maffieuse qu'il a imposée et les innombrables humiliations infligées à la Russie par l'Occident (au lieu de construire un vrai partenariat euro-russe) durant l'ère Eltsine et depuis (le bouclier anti-missiles est une pure et simple provocation anti-russe) ont produit Poutine. Aujourd'hui Poutine a le gaz, l'argent qui va avec et peut exploiter, grâce à ces erreurs stratégiques majeures euro-américaines, le sentiment patriotique russe : avec lui, la Russie ne sera plus humiliée.

Il était donc stupide de la part de "l'Europe", de vouloir attirer l'Ukraine hors de l'orbite russe - sans avoir préalablement négocié avec la Russie, sans s'être préalablement entendu avec la Russie - et ceci d'autant plus que toute l'économie ukrainienne est dirigée vers la Russie, conditionnée par le gaz russe. Il était stupide de penser que la Russie laisserait dériver une Ukraine maîtresse de la Crimée hors de sa zone d'influence exclusive. Les relations internationales, ce n'est pas le monde des Bisounours, la Russie est une grande puissance et quel que soit son chef, quel que soit son régime, ce régime et ce chef ont obéi, obéissent et obéiront aux mêmes impératifs géostratégiques.

"L'Europe" l'a fait, néanmoins, car, on le sait depuis les guerres de sécession yougoslaves, elle n'est jamais à une stupidité ni à un aveuglement près. Elle l'a fait alors qu'elle est ruinée par l'euro qui étouffe les trois quarts de ses Etats membres et qu'elle est dépendante du gaz russe. Aveuglement suicidaire, mais ce n'est que le dernier en date d'une longue liste.

Tout ce que l'UE a réussi à faire en Ukraine, comme en Yougoslavie ou en Libye, c'est à réactiver des vieilles lignes de fractures géostratégiques, ici entre la Galicie austro-hongroise et l'Ukraine russe. Et à installer le chaos, qui pourrait bien profiter à l'Ouest aux néo-nazis et différentes sortes de fascistes qui sont en embuscade derrière (ou qui ont manipulé ?) les citoyens descendus dans les rues contre un pouvoir impopulaire, autoritaire et corrompu, et à l'Est à... Poutine qui pourrait bien en profiter pour, sous une forme ou une autre, imposer la partition qui lui permette de récupérer la Crimée tout en étouffant une Ukraine occidentale croupion en lui coupant les vivres et le gaz. Or comme l'Europe n'aura pas l'argent pour soutenir cette Ukraine-là qui, de toute façon, ne sera pas viable... J'attends dans trois ou quatre ans les manifestations anti-européennes à Kiev.

Ainsi les Euro-Américains ont-ils voulu installer un pouvoir pro-occidental en Géorgie, afin d'y faire passer un oléoduc échappant à l'emprise de Moscou. Révolution des roses plus ou moins téléguidée, président "démocrate" aussi autocrate que ses prédécesseurs pro-russes... puis sécessions abkhaze et ossète, intervention russe... Aujourd'hui, la Géorgie a de nouveau un président pro-russe et la Russie peut couper l'oléoduc quand elle le décidera.

Ce dont on peut être sûr, avec les ânes et les nains de Bruxelles, de Berlin et de Paris, c'est que chaque fois qu'il y a une bêtise à faire ils la font, c'est que dès qu'ils se mêlent de quelque chose, en matière internationale, on aboutit à une catastrophe, et souvent à la guerre. Avec à la clé des médias qui dénoncent à longueur de temps la montée des "populismes" (produits de la politique de Berlin et de Bruxelles) et le danger fasciste, sauf quand il est au pouvoir à Budapest et qu'il fait le coup de feu dans les rues à Kiev - avant de pleurnicher sur les morts qui résultent de cette politique de gribouille.