A l'attention de ce député qui s'est fait élire sous l'étiquette gaulliste (c'est dire s'il y a longtemps qu'elle ne signifie plus rien) et à ce lâche ministre qui estime que la libre expression des artistes est une affaire privée entre un député qui voudrait voir le ministère exercer une police de la pensée et une écrivaine attaquée dans sa liberté d'expression, c'est-à-dire dans un des droits de l'homme et du citoyen établis depuis quelques temps déjà dans ce pays, paraît-il, voici un texte de celui qui fonda, il y a cinquante ans, le ministère des Affaires culturelles.

On peut dire en somme bien des choses sur Malraux ministre ; on peut critiquer ses choix, lui nier la paternité de ce qui n'aurait jamais vu le jour s'il n'avait pas été à la tête de ce ministère, déplorer les lacunes d'une action en oubliant combien la création même de ce ministère apparut alors aux puissants de tout poil comme une monstruosité, lui reprocher de n'avoir pas fait plus, autrement. On est déjà bien moins pertinent, lorsqu'après avoir remplacé l'action culturelle par une manière de bling-bling culturel, on notait en accédant à ce ministère qu'on allait marquer le passage de l'ombre à la lumière - expression d'une mégalomanie langienne qui, comme le bling-bling culturel explique pourquoi le divin Jack, ci-devant socialiste, paraît-il, n'en peut plus d'attendre de revenir au Gouvernement, quitte à devenir ministre franco-allemand, c'est-à-dire gadget (mais ça lui va si bien !), d'une chancelière conservatrice et d'un président - le plus réactionnaire que la France ait connu depuis un certain maréchal.

Mais on doit au moins reconnaître à Malraux qu'il se refusa, toujours et avant tout, à faire de son ministère un succédané de Propagandagesellchaft à la Raoult. Il s'y refusa, notamment en novembre 1966, lorsque les Raoult de l'époque s'étouffaient que Les Paravents de Genet fussent joués dans un théâtre subventionné, en l'occurrence le Théâtre de France, alors que cette pièce était jugée attentatoire, insultante à la France. Voici donc ce que leur répondit Malraux, et qu'on eût aimé, entendre dans la bouche de M. Mitterrand, s'il n'était pas à ce point lâche que la liberté d'expression des artistes lui importe davantage que son confort ministériel - si, en résumé et en cette occasion, il avait eu des couilles.

"La liberté n'a pas toujours les mains propres, mais il faut cependant y regarder à deux fois avant de la jeter par la fenêtre...

Vous me dites : il ne s'agit pas d'interdiction, mais de subvention. La lecture qui a été faite à la tribune ne représente qu'un fragment des Paravents, qui ne se déroule pas sur la scène mais en coulisse.

Vous avez dit que cette pièce était anti-française : elle est en fait anti-humaine, elle est anti-tout. Goya aussi l'était, comme on le voit dans les Caprices. Vous avez parlé de « pourriture » : soyez prudents ; avec des citations, on peut tout condamner. Que dire alors de La Charogne de Baudelaire ? Je ne prétends certes pas que Genêt est Baudelaire. Ce que je veux dire, c'est que lorsque quelque chose blesse votre sensibilité, il est déraisonnable de l'interdire : ce qui est raisonnable, c'est d'aller ailleurs." (Assemblée nationale, 27 octobre 1966)

Juste une suggestion à M. Raoult : allez ailleurs ! Juste une remarque à M. Mitterrand : être ministre, ça ne se résume pas à se goberger rue de Valois et profiter des voitures de fonction ; ça exige juste, parfois, un peu de courage. Juste un peu.