Me voilà donc rentré... depuis une semaine.

Et depuis une semaine, tout en remettant en route la maison et en mettant en ordre les affaires quelque peu laissées en jachère depuis six mois, en travaillant et en faisant ce qu'on attend de moi pour le Comment je n'ai pas eu le Goncourt, qui devrait se trouver dans toutes les bonnes librairies dès le 13 octobre, je réfléchis à ce que sera mon premier billet de rentrée.

Le déni de démocratie qui consiste à considérer le "non" aux référendums comme transitoire, à s'asseoir dessus avec la complicité des socialistes, en France et aux Pays-Bas, ou à faire revoter les Irlandais jusqu'à ce qu'ils acquiescent ? La victoire électorale en Grèce, dans une situation catastrophique, d'un Pasok dirigé par un Papandréou qui pense en Américain qu'il est, au moins autant qu'en socialiste ? Les analyses d'une superficialité confondante que ces élections ont suscitées dans les médias français ? (mais quel espace démocratique européen réel voulez-vous donc construire en sautant sur vos chaises et en criant l'Europe ! l'Europe ! comme des cabris, tout en manifestant un tel mépris et une telle ignorance des enjeux politiques dans les Etats européens ?) L'orage qui, entre le Pirée et l'aéroport, m'a bloqué plus d'une heure dans un bus à l'intérieur duquel l'eau montait inexorablement ?

L'exhibition pathétique d'un ancien président de la République étalant ses fantasmes dans un roman Arlequin, trouvant pour cela un éditeur peu regardant et la complaisance d'une presse et de médias décidément bien malades ? Le ridicule de Sarkozy réformateur du capitalisme renvoyé à ses rodomontades lors du dernier sommet ? Le danger des gesticulations du même dans l'affaire iranienne, ce qui nous sert de président se montrant en cette occasion le digne fils naturel de Bush, Blair, Berlusconi et Barroso (ah la réélection de Barroso à la Commission : vive l'Europe, décidément !!!) lors de l'affaire d'Irak ? La taxe carbone qu'on va nous mettre sur le râble, alors que depuis trente ans, ceux qui l'instituent ont patiemment construit le système ubuesque, dit de globalisation, qui fait qu'aujourd'hui les aulx qu'on trouve dans les épiceries de Nisyros viennent de... Chine ?! A moins que je ne me passionne pour la grippe...

Et puis finalement j'ai choisi Frédéric Mitterrand.

Déjà, en plein été nisyriote, l'accession de celui-ci au ministère de la Culture m'avait fait rire, tout en confirmant une fois encore mon diagnostic de plus en plus pessimiste sur l'état de la République française et de ses "élites".

Voilà donc un président de la République qui, après avoir maintes fois prouvé son indifférence ou sa haine de la culture et à peu près de toute forme d'intelligence, "se paye" un Mitterrand comme ministre de la Culture. Et voilà un Mitterrand qui, par vanité sans doute, ne peut s'empêcher de se prêter à un jeu presque aussi pathétique que le roman de gare du suscité (à moins qu'il ne faille écrire suce...) ex-président de la République.

Pour ma part, j'ai toujours éprouvé une sorte de compassion pour M. Mitterrand. Un peu comme pour l'amiral Philippe de Gaulle. Il ne doit pas être toujours facile d'exister quand on porte certains noms. Il me faisait rire aussi : ses émissions sur les starlettes et les têtes couronnées, déclamées d'un ton de commentateur des actualités Pathé avaient ce charme désuet, fané, suranné, ridicule aussi, des cartes postales 1900 ou des photos qu'on retrouve dans le coffret d'une arrière-grand-mère...

Non sans m'avoir mis parfois en rage. Ce fut le cas, notamment, de l'émission qu'il consacra à Paul Ier de Grèce et Frédérika de Hanovre, ci-devant petite-fille du Kaiser, élevée par les Hitlerjugend, comme notre bien-aimé pontife, et reine de Grèce. La reine nazie comme l'appelaient les Grecs. Churchill qui, dans les affaires de Grèce, poussa pourtant le parti-pris en faveur de la monarchie jusqu'aux plus sombres crimes, s'en méfiait tellement, en pleine guerre, quand en exil au Caire, elle correspondait avec ses frères et cousins, hauts dignitaires du Reich, qu'il l'envoya en villégiature en Afrique du sud.

Puis à la Libération qui, en Grèce, fut une ignoble guerre civile, voulue par les Anglais et conduite par les Américains, elle fut la passionaria du napalm utilisé contre les résistants d'hier, l'icône des anciens collabos et autres ultras qui n'avaient rien appris ni rien compris, la pousse-au-crime de tous les escadrons de la mort fascistes qui semèrent la terreur dans la Grèce des années 50 et 60.

S'étant constitué une administration parallèle qui distribuait les bureaux de tabac, surveillait et dénonçait, doublait l'administration de l'Etat, elle fit voter, contre la volonté du Premier ministre, un impôt spécial pour financer les fastes des épousailles de sa fille (la Sophie qui vient, en Espagne, de tenir des propos homophobes) avec un Juan Carlos, alors protégé de Francisco Franco, généralissime et non moins sanglant Caudillo d'Espagne par la grâce de Dieu et les bénédictions du Saint-Siège. Elle fut de tous les coups tordus, eut la peau de Karamanlis (les vrais commanditaires du meurtre de Lambrakis, voir et revoir Z, qui fit tomber le Premier ministre n'étaient-il pas au Palais ?) le Grand, le tonton du Gros qui vient de se prendre une veste. Elle fut le véritable artisan, derrière son fantoche un peu simplet de fils, du renvoi du vieux Papandréou (le Vieux, le pépé de l'Amerloque qui vient de virer le Gros) en 1965, ouvrant ainsi la crise qui se conclurait par sept ans d'une des dictatures militaires les plus bêtes du monde... Si on veut en savoir plus, on peut toujours lire mon Plongeon.

Eh bien, pour M. Mitterrand, cette caricature de reine, ce parangon de toutes les droites extrêmes, cette catastrophe nationale, était une amoureuse folle de son mari, qui le regardait avec des étoiles dans les yeux, une Allemande qui avait si bien appris à danser le syrtaki dans des belles robes de cour, une bonne âme visitant les blessés (sur le front de la guerre civile : inutile de dire lesquels) et recueillant les enfants (sans préciser pour quelle ignoble Propaganda).

C'était d'autant plus affligeant et révoltant que, pour cette émission, les documentalistes avaient fait un extraordinaire travail, exhumé des documents d'archives uniques et que, pour ma part, je n'avais jamais vus.

Seul le commentaire était aussi indigent que scandaleux - émaillé de réflexions pertinentes du genre : les rois de Grèce reviennent toujours -, témoignant d'une inculture historique aussi crasse qu'était complète l'incompréhension du contexte historique et du sinistre personnage en question. A côté, pour tout dire, Point de Vue Images du monde c'était du haut vol en matière d'analyse historico-politique !

A y bien réfléchir aujourd'hui, d'ailleurs, on comprend ce qui, en plus de la volonté de se "payer" un Mitterrand, a pu faire de celui-ci un ministre de la Culture : substituer le pathos à la réflexion, le sentiment à l'intellect, en politique comme en histoire (le parallèle est troublant avec l'affaire Guy Môquet), faire pleurer Margot plutôt que l'éduquer, l'éblouir plutôt qu'essayer de lui faire comprendre, c'était faire du Sarkozy avant Sarkozy !

Bref, ensuite, M. Mitterrand a fait une carrière médiatique plutôt honorable - je me rappelle une belle soirée tunisienne, ses émissions à France Culture, bien qu'éminemment nomenklaturistes, n'étaient pas toutes mauvaises... sans que rien, à vrai dire, n'en fît un successeur incontestable de Balthus à la villa Médicis ou de Malraux rue de Valois. Mais sans doute, avec Sarkozy comme avec Berlusconi, devons-nous nous habituer à voir les bateleurs prendre la place des politiques et des créateurs.

Tout de même, quand on est pédé et qu'on fait profession d'homme de culture... sinon d'histoire, accepter de figurer dans le Gouvernement d'un type qui a tenu des propos bien étranges sur l'homosexualité, le suicide et la transgression, dans un entretien avec Michel Onfray peu avant son élection, un homme qui trouve scandaleux qu'on fasse lire La Princesse de Clèves, qui pense que, depuis que l'avion à bas coût existe, le livre est tout de même très démodé, est un curieux choix ! Ce fut le sien.

Et puis arrive l'affaire Polanski. Là-dessus, on pouvait dire bien des choses en somme : que le procureur étazunien cherche la publicité, que la victime du viol qu'on reproche à M. Polanski ne réclame plus vengeance pensant qu'elle a obtenu justice ; on pouvait se demander pourquoi, alors que M. Polanski est allé de nombreuses fois en Suisse, c'est aujourd'hui qu'on l'arrête ; on pouvait dire aussi que l'instrumentalisation politique de la pédophilie est fétide, que l'hystérie (j'en parle d'autant plus librement que je n'ai jamais désiré que les mecs approximativement de mon âge, c'est-à-dire qui vieillissent autant que moi) du genre Bayrou ou Royal (vous savez : "un enfant ne ment jamais"), entretenue autour de ce sujet a déjà conduit, et pas aux Etazunis, à des catastrophes judiciaires.

On pouvait dire tout cela. On pouvait même dire, même lorsqu'on a choisi comme M. Mitterrand d'appartenir à un Gouvernement qui n'a cessé d'exploiter cette hystérie que provoquent la pédophilie et les crimes sexuels en général, qui a fait passer des lois scélérates violant le principe sacré de la non-rétroactivité, qui punissent encore des condamnés qui ont purgé leur peine, que la prescription est indissociable de l'Etat de droit et qu'utiliser des artifices procéduraux pour contourner ce droit à la prescription est une atteinte à la justice et à l'Etat de droit... On pouvait ; même si tenir de tels propos eût été faire preuve d'une singulière incohérence intellectuelle, manifester une dangereuse schizophrénie, quand on siège dans un Gouvernement dont cette hystérie est un des fonds de commerce, un Gouvernement qui n'a, toujours et en toute circonstance, que la répression et encore la répression comme réponse à toutes les questions.

On ne pouvait certainement pas dire que le talent ou la condition sociale vous mettent au-dessus de la loi commune. M. Mitterrand devrait relire la Déclaration des droits de l'Homme en son article 6, qui dispose que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit quelle punisse."

Comme son maître, M. Mitterrand devrait parfois réfléchir avant de parler.

Il aurait dû aussi, peut-être, réfléchir avant d'écrire.

D'abord, j'exècre la littérature de l'exhibition et du nombril qui n'est pas de la littérature. Les Confessions m'ennuient. La littérature c'est justement prendre ce que l'on est, le travailler pour en faire autre chose. Je ne ferai donc pas partie du choeur des vierges chantant les louanges de Mauvaise Vie. Ensuite, il y a longtemps que les lamentations de pauvres grands garçons riches, qu'ils s'appellent Beigbeder ou Mitterrand, sur leur difficulté de vivre un destin de privilégié dans un monde trop pauvre incapable de les comprendre m'excèdent.

M. Mitterrand a eu bien du mal à vivre son homosexualité, il la vit mal, parce qu'il n'a jamais eu le courage de rompre avec les valeurs de son milieu bourgeois et coincé. Passionnant et follement original en effet !

Il est tellement malheureux qu'il est obligé de recourir à des amours tarifées et thaïlandaises. Je ne trouve pas ça scandaleux. Pathétique oui, à la Giscard ; et plus encore lorsque l'on se croit obligé d'en faire l'aveu public puis d'accepter de siéger dans un Gouvernement de culs-bénits, dont le chef, comme ministre de l'Intérieur, a criminalisé la prostitution, au risque de marginaliser et, parlons vrai, de tuer des prostitué(e)s rejeté(e) s dans les marges de l'innommable, un chef qui s'en est allé baiser les mules papales avant de proclamer aux pontificales esgourdes que, jamais, un instituteur ne transmettrait comme un curé ce que sont le bien et le mal.

Le Bien et le Mal... ou plus exactement et justement le bien et le mal définis de la manière qui a fait le malheur intime de M. Mitterrand.

Aujourd'hui, de plus en plus pathétique, M. Mitterrand tente de s'expliquer, de se défendre, en arguant qu'il n'a payé que des adultes, qu'il n'a pas fait l'apologie de ceci ou de cela, qu'il est victime de l'éternel, ignoble et honteux amalgame entre homosexualité et pédophilie. Mais qui entretient l'équivoque, utilise sans cesse cet amalgame-là sinon les Boutin et les Longuet sans qui le Gouvernement dans lequel siège M. Mitterrand n'existerait pas ?

Mais enfin, M. Mitterrand, un peu de cohérence, que diable !

La vraie question, dans tout cela, ce n'est pas l'ignominie du Front National ; il s'agit là d'un truisme. La question serait plutôt de savoir si, en ayant donné d'aussi belles verges pour se faire battre par les réactionnaires au service desquels il a choisi de mettre ses éclatants talents qui, bien davantage que son nom, ont bien sûr motivé son engagement par le Chef, en plus de sa fascination pour les têtes couronnées, fussent-elles fascistes, en plus d'une incohérence totale entre ce qu'il est, sa vie, les valeurs qu'il prétend défendre et le maître qu'il s'est donné, M. Mitterrand ne serait pas franchement maso ?