93 suicidés dans les prisons françaises en moins de dix mois. On attend encore une réaction du président de la République ; une seule mesure significative de la garde des Sceaux sur la scandaleuse condition pénitentiaire qui contribue à appliquer, dans notre beau pays, une peine de mort non prononcée contre les plus faibles des détenus.

Un pauvre bougre de prof est mis pendant sept heures en garde à vue pour un soi-disant coup de poing à un gamin. Il se suicide. Le gamin avoue aujourd'hui qu'il n'a jamais été le moins du monde molesté ni frappé. On attend encore une réaction du président de la République ; un début de réflexion de la garde des Sceaux sur ce qui cloche, dans ce pays, en matière de procédure pénale, en matière de garantie de la présomption d'innocence, en matière de garantie, tout simplement, du respect des droits de l'Homme face à ce qui ressemble de plus en plus à un arbitraire policier - fût-il couvert par des procureurs ou des juges soucieux de remplir les objectifs de la "culture du résultat" qui fait rage à la tête de l'Etat... la tête, d'ailleurs, il s'agit plus en l'occurrence de tripes, d'estomac que de tête et d'encéphale.

Il est vrai qu'après les déclarations surréalistes, il y a quelques années, de la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle sur les enfants qui, comme la terre du maréchal Pétain, ne peuvent mentir, les chers petits auraient tort de ne pas user de la licence d'accuser à tort à travers, de tout et de n'importe quoi, n'importe quel adulte qu'ils ont dans le pif. Et que, par la grâce des Dati-Sarkozy, n'importe quel citoyen peut se retrouver en moins de deux accusé, gardé à vue et bouclé en préventive sans avoir le moins du monde aucune chance de faire valoir son point de vue ni son droit à la présomption d'innocence.

Quelles conséquences ont été tirées, en la matière, des propositions de la commission Delmas-Marty de la fin des années 1980 ? Aucune. Quelles leçons a-t-on tiré d'Outreau ? Aucune.

La garde à vue a-t-elle été étroitement encadrée, limitée, surveillée, dans les cas autres que ceux (terrorisme, grand banditisme, trafic de drogues) où elle est à l'évidence nécessaire ? Non. La garde à vue devrait à l'évidence être totalement proscrite dans ce genre d'affaires, dans toutes les affaires aussi... insignifiantes qu'une claque collée par un prof à un sale gosse, sous l'effet d'une exaspération... parfois bien légitime !

Hier, un détenu en préventive, pour viol, mais cela ne change rien au principe que, jusqu'à son jugement il est présumé innocent, est libéré par suite de la faute matérielle d'un greffier, due d'abord à trente ans de politiques qui ont conduit la justice à l'état de misère où elle se débat. Un greffier débordé, comme tous les greffiers de ce pays, où l'on préfère faire des cadeaux fiscaux aux plus riches plutôt que de donner aux administrations les moyens de fonctionner normalement, où l'on trouve des milliards pour empêcher de collapser un système financier rendu fou par trente ans de déréglementation, d'Europe libérale, de mondialisation et de libre-échangisme, mais où l'on ne peut dégager de crédit ni pour permettre à la justice de fonctionner correctement, ni pour avoir des prisons décentes, ni pour la recherche, ni pour investir dans les transports ou les énergies de demain...

Ce type est donc libéré. Innocent ou coupable, peu importe ; en l'occurrence et en droit, ce type est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable par une cour d'assise statuant au nom du peuple français. Et même s'il est coupable, il y a des moyens technologiques aujourd'hui pour respecter ses droits et le laisser en liberté jusqu'à son jugement, tout en le surveillant et en évitant qu'il ne commette éventuellement d'autres crimes ou délits pareils à ceux qu'on lui reproche. Il n'a donc de toute manière rien à faire en prison. La prison préventive est, en soi, une atteinte aux droits de l'Homme et devrait être strictement réservée aux cas où elle est absolument nécessaire. L'usage qu'on en fait aujourd'hui en France est une atteinte quotidienne aux droits de l'Homme - et ceci d'autant plus que l'état de nos prisons et indigne -, un vrai scandale que tout véritable démocrate devrait dénoncer.

Ce type est donc libéré : indignation immédiate du président de la République ; la garde des Sceaux se fâche tout rouge !!!

En attendant, au pays dit des droits de l'Homme, la procédure judiciaire et la prison tuent. Mais ça ne dérange apparemment ni ce qui nous sert de président de la République, ni ce qui fait fonction de garde des Sceaux. Cherchez l'erreur !