Un lampadaire Ikea, des chaises en formica, quelques tables de lycée sur lesquelles cavalcadent ou s'assoient deux bonnes femmes en faux-cul et trois types en chapeau mou et complet gris, parfois agrémenté d'un tutu romantique.

Ces gens, qu'on a peine à appeler des acteurs, passent d'un côté à l'autre, parfois une porte sous le bras, en gueulant ou susurrant des textes sans rapport les uns avec autres, dont certains sont en italien, en allemand ou dans ce que j'ai cru pouvoir identifier comme un idiome scandinave, sans surtitrage naturellement, ce qui n'est pas grave puisqu'il n'y a manifestement aucun sens à tirer ni de leur contenu ni de leur collage.

Un fond musical assourdissant qui, lui aussi, enfile les uns après les autres des morceaux qui n'ont pas plus de signification que les textes qu'ils empêchent d'entendre.

Deux ou trois beaux éclairages, une ou deux images qui évoquent Magritte et une exécrable soirée, dont on sort avec l'impression d'être idiot parce qu'on n'a rien compris. Sans doute parce qu'il n'y a rien à comprendre : aucun propos, pas de jeu, une mise en scène hystérique au service du Grand Rien. Mais enfin, le talent c'est, entre autres choses, de faire que les spectateurs prennent du plaisir tout en se sentant plus intelligents qu'ils ne sont. Pas le contraire.

Une très chère amie, m'avait entraîné là. Elle ne sait même pas comment ce non-spectacle lui a été refilé dans son abonnement de l'Odéon - sans doute M. Py pratique-t-il lui aussi la titrisation, celle des spectacles aussi pourris que les créances des subprimes. Je ne lui en veux pas (à mon amie, pas à Py), parce qu'elle ne pouvait deviner, vu la tonalité de la critique, que nous attendaient une heure et demi de cauchemar : nous avons eu l'imprudence, au lieu de nous asseoir en bout de rang, de nous placer au milieu. Coincés. Impossible de partir, une fois prise la mesure du désastre, sauf à faire lever dix personnes. Je suis encore trop poli ; plus que cette troupe, en tout cas.

Car ce "spectacle" n'est ni surréaliste, ni onirique, ni ludique, ni théâtral ; il n'est rien. Et moi, j'en frémis encore de fureur.

Mais de qui se moquent cette troupe, Le Radeau... (de la Méduse), et son chef, M. François Tanguy ?

De qui se moque M. Olivier Py (dont j'ai déjà eu l'occasion de dire ici ce que je pensais de son ''Agamemnon'', beuglé et raté... avant qu'il n'aille baiser l'anneau pontifical, puisqu'il est de ces gogos pédés cathos si heureux et reconnaissants d'être maudits et traités par leur Très Saint Père d'intrinsèquement pervers) en programmant pareil foutage de gueule dans la salle des Ateliers Berthier, succursale de l'Odéon, théâtre national qu'il dirige ?

De qui se moquent les critiques en criant au génie devant une telle imposture ? Comment peuvent-ils faire l'éloge d'un tel naufrage, indigne de la pire MJC des années 1970 ? Commençant à connaître le fonctionnement de la critique littéraire (dont le traitement de la rentrée littéraire vient encore de démontrer l'indigence et la malhonnêteté intellectuelles), j'ai quelques idées là-dessus. Et quel crédit peuvent avoir encore les prescripteurs ? la presse dans son ensemble ? C'est la première question que devraient se poser ses Etats-généraux, avant de se demander si tous les journaux doivent appartenir à seulement deux ou bien à trois amis du Président.