En politique étrangère, comme en toute autre chose, Sarkozy agit et réfléchit après. Depuis un an, sa politique étrangère, confiée à l’un des plus mauvais locataires du Quai d’Orsay (un des…, parce que le regretté Douste est, en la matière, indéboulonnable), se résume à une suite de foucades, de bévues et d’inconséquences.

Personne ne s’y trompe d’ailleurs à l’étranger, où tout le monde rigole, et la présidence de l’Union réserve sans doute à nos partenaires quelques bons fous rires supplémentaires.

Quel besoin avait-on, bien sûr, d’aller faire allégeance et de jouer les carpettes devant un Bush totalement démonétisé, en fin de course et que personne ne veut plus fréquenter ?

Pourquoi, alors qu’on dénonce à l’envi, et avec raison, l’irresponsabilité de la BCE et l’euro fort, ne s’est-on pas servi du non du peuple français pour exiger une renégociation des missions de la Banque centrale, en lui donnant des objectifs en matière de croissance, pas seulement d’inflation ? avant de signer un traité simplifié, qui n’est ni simplifié ni renégocié, qui a été imposé par un véritable coup d’État parlementaire contre la souveraineté populaire et qui sera, je l’espère, renvoyé demain aux oubliettes de l’histoire par le peuple irlandais.

Quant au tapis rouge scandaleusement déroulé devant les babouches khadafiennes l’hiver dernier, on a vu hier ce que l’on pouvait en attendre : une grossière torgnole du conducator libyen envoyée en pleine poire à notre Caligula, sur son ultra-fumeux projet d’Union méditerranéenne.

L’Union méditerranéenne !… la grande idée du règne. On ne fait pas plus méditerranéen que moi, mais qu’est-ce que c’est encore que ce machin ? Un truc, un gadget qui ne servira à rien qu’à dilapider l’argent public en casant des copains et en fournissant des sinécures aux dictateurs à la retraite.

Comme la francophonie.

Car de cette belle idée, on a fait une bureaucratie pompe à fric qui ne sert à rien qu’à rémunérer une pléthore d’inutiles et à organiser des sommets fastueux où l’on agite du vent.

Alors que, pendant ce temps-là, on a liquidé toute véritable diplomatie culturelle française. Poudre aux yeux ! Sarkozy va à Athènes pour proposer une « nouvelle alliance franco-grecque », mais dans le même temps où on chantait les louanges de la francophonie au cours de grand-messes aussi coûteuses qu’inutiles, on liquidait en silence le réseau des Instituts français qui avait fait de la Grèce un pays dont toutes les élites politiques, économiques, culturelles parlaient et/ou pensaient en français. Fini : aujourd’hui le français est non seulement détrôné, en Grèce, par l’anglais, mais aussi par l’allemand et l’italien – l’Allemagne et l’Italie ayant développé leurs institutions culturelles à mesure que nous démantelions les nôtres. Incroyable politique de gribouille qui consiste, pour des raisons d’économies immédiates (forcément, il faut bien financer les fastes francophones et, demain, la bureaucratie de la nouvelle Union méditerranéenne !), à sacrifier l’avenir.

Et on pourrait en dire autant de notre effacement en Pologne, en République tchèque, en Roumanie…

C’est comme, en matière de politique culturelle, le Louvre Lens ou Beaubourg Metz : on crée des éléphants blancs qui aspirent des budgets colossaux pour des effets minimaux et on prive du peu de moyens qu’ils avaient les gens qui œuvraient sur le terrain.

Mais le plus absurde, dans le voyage caligulesque du ouiquende dernier, fut sans doute l’escale libanaise. Le Liban est une réalité historique et politique dont la France se doit de garantir la pérennité. Mais le Liban tel qu’il est aujourd’hui est le résultat des innombrables bévues françaises commises entre 1918 et 1945. À commencer par la détermination des ses frontières.

Car les frontières du Liban, du Grand Liban, ont été dessinées par nous dans un seul but : diviser pour régner. Car au lieu de dessiner un Liban chrétien homogène, on décida de créer un Liban qui serait le plus étendu possible tout en restant à majorité chrétienne. C’est-à-dire que les frontières actuelles du Liban sont le résultat de la volonté française des années vingt d’enlever à la Syrie le plus possible de territoires, tout en gardant au Liban une majorité chrétienne.

La Syrie (avec quelque apparence de raison) n’a jamais accepté cette injustice qui lui fut faite par le pouvoir colonial sans que les populations fussent jamais consultées sur leur sort. Les équilibres démographiques ont changé mais les frontières sont restées. Chrétiens devenus minoritaires, territoire artificiel, absence de véritable conscience nationale, corruption généralisée, dont on oublie un peu vite que le martyr Hariri, grand ami de Chirac devant l’Éternel (c’est bien toujours son fils qui le loge, non ?), fut le champion toutes catégories, structures claniques plus que politiques… la situation libanaise est aussi complexe qu’instable.

Aussi quand, dans ce magasin de porcelaines, l’éléphant Sarkozy fit irruption il y a un an, il y commit, directement ou par Kouchner interposé, toutes les erreurs imaginables.

L’alignement sur Bush et sur Israël, ne pouvait déjà que nous priver, sur la scène proche-orientale en général, de l’audience que nous y avions depuis le général de Gaulle. La fanfaronnade irresponsable de Kouchner sur la guerre en Iran et la connerie sarkozyenne de refuser de parler avec la Syrie ont fini de nous priver de tout moyen d’action réel au Liban. Alliée par défaut de l’Iran, la Syrie refusera toujours, quel que soit son régime (parce que c'est la nature des choses, le poids de l'histoire et de la géographie), que le destin libanais se décide contre elle ou sans elle. Elle ne pouvait accepter cette double provocation. La politique Sarkouchnérienne impliquait donc, en elle-même, la déstabilisation du Liban à laquelle nous avons assisté.

Pour que la Syrie accepte enfin le Liban tel qu’il est, puisqu’il semble qu’on ne puisse (hélas !) discuter du sujet tabou que semble être devenu celui des frontières (quitte à créer dans les Balkans de nouveaux États aussi maffieux que privés de toute viabilité), c’est-à-dire pour que le Liban soit enfin stabilisé, tout le monde sait qu’il faudra en passer par Damas… et par Tel-Aviv. Tout le monde sait que le Liban est une pièce du puzzle régional, une contrepartie pour la Syrie, qu’il n’y aura donc pas de paix réelle au Liban avant que la Syrie n’ait obtenu d’Israël, c’est-à-dire des Américains, la restitution du Golan et son château d’eau. Dans ce contexte, le rôle de la France n’est pas d’aller rouler des mécaniques, ici ou ailleurs, il est de faciliter le dialogue israélo-syrien, et d’expliquer sans relâche aux Américains que la clé de la stabilité est là, et nulle part ailleurs. Refuser de parler à la Syrie et s’aligner sur Israël constitua donc une incroyable connerie qui privait automatiquement la France de toute influence dans le jeu libanais.

Et c’est ce qui est advenu.

Car, à cet égard, le voyage du ouiquende dernier ne fut qu’un pitoyable rideau de fumée destiné à masquer le plus lamentable fiasco diplomatique que la France ait connu dans la région depuis l’expédition de Suez, en 1956. Sarkozy peut parler d’Union méditerranéenne et aller se pavaner à Beyrouth avec toute la nomenklatura politique qui s’est complaisamment prêtée à son petit jeu, il n’a pas plus de crédibilité au Proche-Orient qu’ailleurs. L’absurde politique française conduite depuis un an, n’a eu qu’une conséquence : permettre à l’Arabie saoudite d’assurer son leadership dans le jeu libanais. Belle réussite en vérité. Car c’est bien par l’Arabie et grâce à la reprise (via la Turquie) d’un dialogue israélo-syrien sur le Golan que la dernière crise libanaise a été surmontée.

La France n’y est pour rien. Sarkozy lui a fait perdre la main au Liban et le show télévisé de Beyrouth n’y a rien changé.