LE PLONGEON

(Extraits pp. 48-49)

Guillemets La terre, sur l’île de Marc, est presque partout d’un noir profond ; et quand elle n’est pas noire, la terre de K. est souvent grise, ou bien parfois d’un rouge très singulier de brique dix fois recuite – un rouge cramoisi qui tire sur le violet et vire nettement au rose sous la caresse oblique des lumières du couchant.
» Car cette terre-là est capable de mêler les teintes les plus douces – pâle grège du tuf ou blanc cassé de la ponce – aux plus extravagantes, comme le jaune d’or du soufre dont les cristaux élèvent ici des cheminées pareilles aux termitières du désert australien de Victoria, non loin de Kalgoorlie ; des merveilles de cristaux, aigus comme des épingles, qui s’épanouissent ailleurs en anémones toutes semblables à celles qui palpitent dans la mer, le long des côtes de K.
» Quant aux verts, le promeneur qui arpente les chemins muletiers de l’île de Marc, Mathias et Iris en découvrira une innombrable variété : smaragdites, chrysoprases, serpentines, malachites, une débauche de verts, purs ou veinés de blanc – légers ou pondéreux ; sans oublier les infinies nuances des caroubiers, oliviers, mûriers, amandiers ou figuiers. Car l’île de K., que les Turcs ont appelée « île aux figues », est beaucoup plus fertile que toutes ses voisines, à cause de la pierre ponce du sous-sol, prétendent les gens d’ici, parce qu’elle se gorge des pluies de l’hiver afin d’en abreuver les arbres même en plein été, même quand le soleil a roussi jusqu’au dernier brin d’herbe. (…)
» Cheminer sur les sentiers de K. dans les odeurs du maquis, entre deux compagnies de perdrix qui s’envolent sous vos pas, c’est aussi se ménager bien d’autres surprises : un couple d’aigles qui tournoie au-dessus d’un chaos de lave solidifiée plongeant dans la mer – bleue –, en couches pliées et repliées sur elles-mêmes, feuilletées, fracturées par d’inimaginables forces, puis laissées là dans leur ultime tourment aux formes effarantes ; les sonnailles d’un troupeau de chèvres dont les plus aventureuses ajoutent, sur la crête, leur silhouette détachée dans le ciel – bleu – à celles des gargouilles sculptées par l’érosion ; un vol de hérons cendrés qui fait halte sur une plage de gravier assorti, léchée par la mer et baignée de la lumière du ciel – bleues.
Et pourtant... la beauté de K. n’est pas de celles qui charment ou qui apaisent; non, elle est plutôt du genre impitoyable : l’île de Marc, Mathias et Iris en a même rejeté plus d’un qui ne supportait pas sa splendeur périlleuse ; et ce ne peut être par hasard si l’on s’éprend d’elle.
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