LE CHÂTEAU DU SILENCE

(Extrait)

GuillemetsEt nous arrivâmes enfin sur une plage déserte, une des dernières où les tortues de Méditerranée, des caretta-caretta, viennent s’alléger de la vie qu’elles s’obstinent à donner. Le calme de cet endroit était envoûtant : une sorte d’Éden. Sur le sable, des arceaux de métal marquaient d’emplacement des nids et, dans une baraque en planches, des défenseurs de la nature avaient installé, autour d’une cuvette où barbotaient de petites créatures antédiluviennes à la carapace molle, une exposition destinée à sensibiliser les rares visiteurs aux dangers menaçant l’espèce. Destruction des sites de nidification par les piquets de parasol, sacs de plastique qui abusent les pauvres bêtes par leur allure de méduse pour mieux les étouffer, et jusqu’à l’instinct qui attire les bébés caretta, au moment de leur naissance nocturne, vers la source lumineuse la plus intense : le reflet de la lune sur la mer à l’époque où le Démiurge les a engendrés, les lumières d’un hôtel ou les phares de voiture aujourd’hui – ailleurs que dans l’Akamas.

Une jeune femme nous expliqua encore que le sexe des chéloniens est fonction de la température d’incubation et donc de la profondeur à laquelle chaque œuf est enfoui, puis elle nous décrivit par le menu les innombrables pièges et prédateurs que le « bon Dieu » a placés entre l’endroit où les jeunes tortues émergent du sable et la mer… condamnant à mort neuf dixièmes d’entre elles dès les premières minutes de leur venue au monde. Et moi, je ressentis soudain une immense bouffée de tendresse : voilà ce que j’aurais dû faire de mon existence ! Turtle officer sur la presqu’île de l’Akamas… passer ma vie à veiller sur les balbutiements de ces êtres vulnérables en déjouant les noirs desseins que le Démiurge a machinés contre eux. Guillemets fermés


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