L'Or d'Alexandre

2008, pp. 252 et 255

Guillemets Nouvelle tentative du Stef pour joindre Chevêche. Nouvel échec. Moi, depuis notre arrivée, je n’ai pas quitté notre balcon. J’avais le projet de poursuivre ma lecture de La Couronne de Tomislav, le deuxième tome des Cavaliers de la Koritnicd de Pradčik. Mais comment lire devant un tel spectacle ?! Devant cette vallée qui s’élargit en avançant vers la mer pour s’aboucher au bleu du golfe en un large delta. Alors que, de l’autre côté, elle s’étrécit en se lançant à l’assaut de la montagne. Combien de milliers d’oliviers au feuillage miroitant au soleil – étincelant comme les yeux d’Athéna ? Flot frémissant au cœur duquel, par endroits, sont fichés la lance d’un cyprès, le faisceau de trois ou quatre lances ; de plus en plus nombreux lorsqu’on approche de la tache blanche d’Itéa. Comme si les immeubles formaient une digue, un barrage empêchant la coulée végétale de se mêler au flot liquide. Coulée végétale dans laquelle le regard s’engloutit alors qu’il ricochait sur la surface frigide du lac de Lidoriki. Et le fleuve vif-argent se transmute en étain, à mesure que décline la lumière, vire au céladon de plus en plus velouté, à mesure que ternissent les reflets métalliques et que le ciel vire, lui, du rose vers le violine.
À ma gauche se trouve le site, ce sanctuaire où tout le monde antique venait tenter de connaître l’avenir en interrogeant Apollon. Je le sais, mais je n’en vois rien, sinon les Phædriades (les Flamboyantes) qui le dominent. Deux falaises écorchées qui laissent apparaître l’âme de feu, orange vif, du Parnasse. (…)
De la droite, sur mon balcon, me parviennent les accords d’un concert de clarines à la tonalité incroyablement limpide, de la plus grave à la plus aigrelette. Mais mes yeux ont beau chercher à les découvrir, ils ne réussissent à distinguer aucune des chèvres de l’orchestre qui nous en gratifie.
Vol erratique des hirondelles gobeuses de mouches dans l’air du soir. Roucoulement d’une tourterelle, elle aussi invisible. Souverain tournoiement de rapace à large envergure. Zeus se laisse porter par les courants ascendants en une ample spirale, jusqu’à ne plus être qu’un point minuscule. Puis il se laisse glisser sur l’onde aérienne qui le ramène vers moi. Plonge à la verticale sur une proie. Avant de reprendre sa lente assomption : Delphes apaise, comble, sérénise. Delphes est probablement l’endroit au monde où il serait le moins angoissant de mourir. Si je croyais à une survie de l’âme, c’est à Delphes que la mienne choisirait de venir rôder ; et si un jour je m’y décide, c’est ici que j’aimerais boire ma ciguë.

Cela dit, en attendant, je boirais bien un ouzo. Je me retourne vers Stéphane pour lui demander s’il n’irait pas nous en chercher un au bar. Mon Indy s’est assoupi au milieu de ses papiers. Il dort à poings fermés, sur le dos, la bouche ouverte. Jamais je n’aurai le courage de le réveiller! Ni pour une ciguë ni pour un ouzo. Guillemets fermés

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