Les Ombres du levant

1996 - p. 106.

Guillemets MERCREDI 28 JUIN 1939 : L’éblouissement de Delphes ; une limpidité rayonnante et sévère où la pierre douce et ciselée par l’homme, celle dure et sauvage des roches sanguines, les Phædriades d’où dévale la cristalline et froide Castalie qui purifie et qui inspire, se fondent dans la chaude et rose lumière du couchant. J’ai passé deux heures d’horloge en tête à tête avec l’Aurige, les yeux de cette incomparable statue de bronze fichés dans les miens. À contempler ses drapés roides : le comble de la rigueur. Inaccessible ; avec, à trois pas, l’autre, provocant, le giton d’Hadrien : expressionnisme du corps pas tout à fait parfait. Antinoüs exhibé, fier et offert, fier d’être offert et sûr de son empire. Il y a là un fascinant raccourci des pulsions contradictoires entre lesquelles s’est écartelé le monde grec, qui m’écartèlent ; avec, à mes pieds, la houle vert d’argent des oliviers qui s’étale jusques à Itéa et se soulève comme une poitrine qui respire calmement. Ici les passions devraient s’effacer dans l’irrésistible équilibre apollinien, les brûlures s’apaiser à la fraîcheur de la dévalante Castalie. Je me sens cotonneux, convalescent. Fragile. Orphée sur son douloureux mais indispensable sentier. Risqué. Vers la guérison ? Pas vers l’oubli. Ne pas se retourner. La lumière, là-bas. Mais il n’est pas avec moi et je suis seul. Il n’est pas avec moi et je suis mal. Ça y est, je l’ai jeté le fatal coup d’oeil vers l’arrière... S’arrêter ? Se soigner ; mais non, presque aussitôt il me faut repartir. Guillemets fermés

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